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par-dessus les Allemagnes et sans elles. C’est nous qui le disons. Nous n’avions jamais encore explicitement reconnu ce phénomène récent, l’œuvre bismarckienne, contre laquelle protestait et se dressait à l’avance, avec l’intérêt évident de l’Europe, notre politique séculaire. Nous le reconnaissons, au lendemain de notre victoire. Nous faisons plus que de le reconnaître et même que de le consacrer, de le continuer, de le perpétuer : nous l’accroissons. L’ancien régime n’était que « l’Empire allemand; » ni en 1871, à Versailles, dans la galerie des Glaces, quelque violent désir qu’en eût exprimé le roi de Prusse, ni plus tard, pendant les quarante-huit années qu’a duré cet Empire, aucune bouche allemande n’a proféré officiellement, aucune main allemande n’a écrit officiellement autre chose que « l’Empire allemand. « Il est vrai que peu à peu l’usage s’était introduit, dans la langue molle et complaisante des chancelleries, moitié par ignorance, moitié par distraction, de donner en plein visage à Guillaume II, qui humait l’encens, de « l’Empire d’Allemagne » et de « l’Empereur d’Allemagne. » Mais c’était pure politesse, flatterie un peu courtisane, et le soin avec lequel les princes ses confédérés évitaient d’y tomber, l’avertissait qu’il n’en était rien; que, s’il était incomparablement le premier des souverains allemands, il n’en était pourtant que le premier, et que, s’il y avait un Empire allemand, il persistait en revanche à y avoir dans l’Empire d’autres Allemagnes que la Prusse. D’en être demeuré à l’adjectif, de n’avoir pu s’élever au substantif, cela marquait justement qu’il restait dans l’Empire de 1871 de l’imparfait et de l’inachevé. Les institutions le criaient plus haut encore que le titre. En dehors de sa vraie fonction, de sa qualité de « Suprême seigneur de la guerre, » l’Empereur n’était que le président de l’Empire (et c’est ce qui a rendu assez facile le passage des Hohenzollern à Ebert), ne se séparait pas du Bundesrath, ou Conseil fédéral, et, dans le fait, comme l’indiquait déjà son nom, gardait et portait partout un caractère précaire, restreint et conditionnel; l’Empire allemand, de par la constitution autant et plus que de par le vocabulaire, était fondamentalement fédératif. Il n’y avait d’Empire allemand que dans la Confédération des États allemands, d’Empereur allemand que dans le Conseil fédéral des princes allemands, d’Allemagne enfin que dans l’association et par la coopération des Allemagnes. Ce n’est pas là une phrase arrondie pour bien faire; c’est une vérité, l’image de la réalité, sur laquelle il serait académique et vain de construire une thèse de droit, mais il aurait été légitime et efficace de composer une attitude politique.