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ergoté tout à leur aise, signeront-ils? M. Scheidemann jure que non, et le catholique Erzberger se démène comme un diable dans un bénitier. Mais il s’est tant agité depuis 1914, en des convulsions si contradictoires ! Le plus probable est qu’après des manifestations plus ou moins éclatantes, poussées plus ou moins loin, au premier, au deuxième ou au septième tour des trompettes de Jéricho, peut-être même sans que les trompettes sonnent, ils signeront. Il y aura de feintes retraites, de fausses démissions, des sorties et des rentrées, des substitutions de personnel, et des pudeurs alarmées qui se rejetteront sur des vertus plus accommodantes. Il serait dans l’ordre qu’on nous jouât la comédie de la crise ministérielle insoluble : où trouver un gouvernement qui veuille signer cette paix «intolérable, inacceptable?» Les socialistes indépendants eux-mêmes, Haase lui-même à leur tête, déclinent, avant qu’on les en charge, une pareille responsabilité. Les majoritaires protestent, les conservateurs protestent, les libéraux et radicaux protestent ; mais, pour finir, quelqu’un signera ; et l’on assure que l’État-major ne le déconseille pas : dans le fond, il s’attendait à pis. La véritable question, par conséquent, la question intéressante n’est point: « Les délégués allemands signeront-ils? » Mais bien : « Ce traité qu’elle aura signé, en maugréant, l’Allemagne l’exécutera-t-elle? Si elle ne l’exécute pas honnêtement, docilement, de bonne volonté, avons-nous les moyens de l’obliger à l’exécuter? »

La défense sera savante et compliquée. Nous l’avons dit : un des points faibles de la paix comme on nous la présente tient à ce fait que, le gage de notre créance étant dans le travail de l’Allemagne, nous nous trouvons par-là intéressés à lui permettre de produire, et que nous sommes ainsi entraînés à relever son industrie au détriment de la nôtre : ce que, dans l’instant, nous rattraperons ou récupérerons d’un côté, ne le perdrons-nous pas de l’autre, pour toujours ou pour longtemps? L’Allemagne va devenir un marché d’aliments et de matières premières dont la capacité d’absorption ne sera limitée que par sa capacité de paiement; elle se nourrira d’abord, et ne nous restaurera qu’ensuite. Principalement, elle s’entretiendra, et ne réparera que subsidiairement. Mais ce n’est pas tout, et sa défensive se fera volontiers offensive. Après avoir essayé vainement de procéder par « désagrégation externe » entre les États de l’Entente, les Allemands essaieront de procéder par « désagrégation interne » de chacun de ces États, et tenteront d’ameuter contre une paix « impitoyable » nos socialistes, dont plusieurs seraient capables de vouloir rendre aux ombres de Bebel et de Liebknecht le père leur politesse