Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Europe, reconstruite par la Conférence selon les plans changeants et incertains des Trois, des Quatre ou des Cinq, ne renferme encore beaucoup plus de germes de guerre que l’Europe de 1914.

Mais on entend par avance la réponse : Peut-être, mais ces germes avorteront. La Société des Nations y aura pourvu. Pour faire la guerre, il faut une armée. Quelle armée aura l’Allemagne même, instigatrice et provocatrice de toute guerre? A peine cent mille hommes, qui n’iront pas pieds nus, mais qui, engagés pour douze ans, rompus au pli de la profession, l’exerceront routinièrement, en fonctionnaires plus qu’en factionnaires, avec la placidité d’une police. Il y a une réponse à cette réponse, et c’est qu’à ces cent mille hommes ne se bornera pas la force armée de l’Allemagne : ce n’est que ce qu’on en verra, mais de ne pas être vu n’empêchera pas d’être ce qu’on ne verra pas. Ces cent mille hommes apparents, mis en vue, passés en revue, montrés, ne seront que les cadres ; dans ces cadres, l’Allemagne réintroduira au besoin les trois ou quatre millions de vétérans qui sont revenus à peu près valides de cette guerre, et elle y glissera toute sa jeunesse. Pour le lui interdire, il faudrait des moyens de contrôle et de surveillance que le traité ne nous donne pas. Nous ferons bien, à tout événement, d’être sur nos gardes et de faire comme si l’Allemagne, un jour, devait avoir et aligner en face de nous les restes de son ancienne armée, plus la nouvelle.

N’insistons pas sur les clauses financières : elles nous suffiraient, si elles se suffisaient à elles-mêmes et si toute leur valeur n’était pas dans leur application. Ce qui leur manque le plus, ce n’est pas que tous les comptes n’y soient pas réglés, que par exemple, comme on le leur reproche, les frais de guerre n’y soient pas compris, que le total soit arrêté à une centaine de milliards, alors qu’il devrait s’élever à plusieurs centaines. Leur vraie faiblesse, à elles aussi, est dans l’absence de garanties. Elles pourraient être prises comme elles sont, pourvu qu’étant ce qu’elles sont, nous soyons sûrs qu’il dépend de nous qu’elles soient exécutées. Malheureusement, nous n’avons guère que le titre nu, sans le mandat exécutoire. Voilà le tribunal, et voilà la condamnation ; voilà, peut-être, l’huissier, mais où sont les gendarmes?

Tout ravive cette impression : c’est une paix en même temps forte et faible ; trop douce pour ce qu’elle a de dur, assez dure pour qu’elle eût dû n’avoir rien de doux. Elle-même, tout entière, dans son ensemble, est un moyen terme, un compromis, une cote mal taillée. Om y sent deux inspirations, deux courants, deux directions d’intention;