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L’Empereur n’a pas voulu la guerre : il ne l’a pas cherchée, et si, au point de vue militaire, il a commis des fautes personnelles (ce que j’ignore), au point de vue politique, il n’a fait que suivre l’opinion publique.

Je partage vos anxiétés sur l’avenir. Quant à moi, je resterai immuable jusqu’à la fin de ma vie. Je continuerai à mettre la question de forme de gouvernement au second rang, à combattre l’opposition systématique, même si elle est dirigée contre ceux qui ne me l’ont pas épargnée ; et, quoique trouvant la forme républicaine la plus correcte et la plus logique, dès qu’un gouvernement quelconque sera sorti des libres volontés de la nation, que son nom soit empire, république, légitimité, orléanisme, je l’aiderai sans arrière-pensée, tant qu’en assurant l’ordre il poursuivra l’amélioration, par la liberté et par la science, du sort des humbles, des pauvres, de ceux qui souffrent et qui pleurent. Je le combattrai de toutes mes forces dès qu’il s’écartera de ce but, auquel je resterai fidèle malgré les injustices et les abandons du peuple.


A Monsieur Ernest Adelon.

Moncalieri, 25 novembre 1870.

Cher ami,

Vos lettres m’intéressent ; elles me sont un tableau vivant de cette pauvre France dont je suis désolé de ne pouvoir partager de plus près les douleurs. Mais tous mes amis du Midi me supplient de ne pas venir, que ce serait une témérité inutile. Je me résigne.

Notre vie est vraiment monastique : le travail le matin jusqu’à midi. Après le déjeuner, une promenade sur les hauteurs avoisinantes ; puis encore le travail, la lecture des journaux, des lettres bien rares ! A peine de loin en loin une visite reçue ou rendue. Je passe les journées entières sans dire autre chose que quelques paroles affectueuses autour de moi, ou ces banalités que la bouche prononce sans que l’esprit y ait une part. Les jours où la brume ne nous enveloppe pis, nous avons devant nous, à nos pieds, le Pô, les plaines du Piémont et l’admirable ligne des Alpes, déjà brillante de neige Humboldt prétendait qu’il avait peu vu de spectacles comparables. Mes yeux s’attachent avec mélancolie sur ces belles montagnes dont