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les pièces, il y aura toujours quelques points sur lesquels je n’aurai pas de certitude, surtout lorsque les pièces n’auront pas passé par mes mains déjà.

Du reste, voici comment je travaille. Comme cléments j’ai ma mémoire, les notes sommaires que je prenais chaque soir ou que ma femme prenait pour moi, le Journal officiel, vos lettres, enfin les documents étrangers. Avec ces éléments je vais faire une première reconnaissance dans le sujet, grouper les faits et leurs motifs sans me préoccuper du style ni du contrôle mathématique des détails. Ce premier travail fini, dès que j’aurai mes documents et les vôtres, je ferai une refonte générale et minutieuse. L’été venu, il faudra que nous nous rencontrions pendant huit jours quelque part et que nous arrêtions les lignes, puis je rédigerai définitivement, de manière à être prêt à publier au printemps prochain, sauf à différer si l’heure ne me parait pas propice. Je voudrais faire une œuvre de vérité et aussi une œuvre d’art, dans laquelle l’aridité des faits serait relevée par des souvenirs intimes, des portraits, et à travers laquelle circulerait une discussion serrée. L’Empereur, on prenant l’initiative dans ses brochures de raconter mes conversations, m’a autorisé à raconter les siennes ; je le ferai avec respect, mais librement. Je n’omettrai pas notamment de mentionner le déjeuner où Mme Waleska nous tournait le dos et l’Impératrice affectait de ne pas nous regarder parce que nous nous contentions de la renonciation du Père Antoine. Je suis parfaitement décidé, après tant de sacrifices faits à un gouvernement qui, pendant la plus grande partie de sa vie, m’a persécuté, à ne pas en faire un dernier en immolant mon honneur.


A Monsieur Jouanet.

10 février 1871.

Ne désespérons pas ! Il serait criminel de désespérer de la pairie. Aimons-la, cette chère et belle patrie d’autant plus qu’elle est plus malheureuse, et profitons de nos épreuves individuelles pour nous améliorer nous-mêmes, pour devenir plus justes, plus miséricordieux, afin que par nous la France se relève et brille de nouveau après s’être guérie de sa présomption et surtout de l’esprit révolutionnaire qui a été sa calamité jusqu’à présent.