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véritable représentant de la liberté morale dans le monde, et c’est avec respect que j’accueillerais sa bénédiction.

J’ai aperçu, en effet, dans les journaux la lettre du docteur Hyacinthe. Je n’en ai retenu que le lieu d’où elle est datée : Munich ! et les lettres noires qui la reproduisent m’ont paru aussitôt dévorées par des lettres de sang, les lettres du discours dans lequel Dœllinger célèbre les victoires de la Prusse.


A Paul Dalloz.

Pollone, 4 novembre 1811.

Il y a bien des choses sur lesquelles je voudrais revenir avec vous ; mais c’est là matière à paroles plus qu’à lettres. Nous reprendrons tout cela au coin du feu un jour. Quand ? Pas encore. Si je pouvais être de la moindre utilité en quoi que ce soit, j’arriverais en hâte ; car, bien que mes cheveux aient blanchi de tant d’épreuves nationales, je ne me suis jamais senti plus de vigueur d’esprit et de décision, et je voudrais avoir l’occasion de montrer à mon pays, par un grand sacrifice, de quel tendre et profond amour je lui suis dévoué. Mais que ferais-je maintenant ? Suspect à tous, impopulaire, maudit, j’userais, en la dépensant avant l’heure, une volonté qui, les événements redevenus propices, pourra n’être pas sans action. Le jour arrivera où, malgré les défaites, on reconnaîtra que nous n’avons été que les gardiens de l’honneur national, que la guerre a été voulue, préméditée, provoquée froidement par Bismarck, jugée nécessaire par la France ; alors le pays nous rendra sa confiance. Cela est, désirable pour lui plus encore que pour nous. Comme l’a dit magnifiquement Bossuet, « si le monde loue le bien, tant mieux pour lui. » Dans le présent, d’ailleurs, que faire ? Je regarde tout de loin avec un vif intérêt. Ma solitude ici est complète. Les neiges vont nous clore bientôt dans notre retraite rustique au pied des châtaigniers dépouillés, et, pendant plusieurs mois, notre seule distraction sera de contempler le tapis blanc qui couvrira les plaines du Piémont. Vous ne sauriez croire la douceur d’une pareille vie, malgré son âpreté extérieure, et le repos qu’on éprouve, après avoir été tant agité, à être inerte, passif, ignoré, vaincu, sous la main de Dieu tout entier au conseil du livre de consolation : « Portez bien votre croix et votre croix vous portera. »