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exercer son autorité avec justice ; commander, c’est être lier de sa troupe. » Ces préceptes n’avaient fait que traduire la réalité quotidienne, l’esprit vivant de notre armée. Je sais une très ancienne parole française, celle-ci : « J’obéis d’amitié, » et c’est la plus pure définition qui soit de la discipline librement consentie. Vieille devise vendéenne et féodale, mais qui se trouvait toujours correspondre, et plus riche encore de sens que jadis, au sentiment vrai de nos soldats, précisément parce qu’ils sont les soldats d’une république libre, et parce que des siècles de culture morale les ont façonnés à la pratique de la liberté, donc de la discipline. Le pacte d’amitié entre officiers et soldats, le commandant en chef eut vite fait de le raffermir.

Il y parvint par une méthode en apparence audacieuse, mais bien digne du génie rationaliste de la France, car elle consista à recourir moins au principe d’autorité qu’à son contraire, l’esprit de critique libre et confiante. D’où procédait, en sa source la plus profonde, le malaise qu’il s’agissait de dissiper ? Du fait qu’en cette guerre, où la moindre opération exigeait le concours des bonnes volontés et des compétences les plus diverses, il arrivait souvent que certains exécutants, placés d’ordinaire à des degrés peu élevés de la hiérarchie, se trouvaient seuls à même de bien apprécier les difficultés d’un ordre venu de haut ; et, par exemple, de constater que la préparation de telle attaque ne pourrait pas atteindre, au jour dit, le degré d’avancement requis. Averti par eux, le commandement n’eût pas hésité à compléter son ordre ou à le différer ; mais les exécutants se taisaient, de peur d’être tenus par leurs chefs pour des esprits timorés ; ils gardaient par devers eux leurs inquiétudes, ils se bornaient à obéir avec un stoïcisme taciturne, quitte à dire leur rancœur autour d’eux en cas d’échec, parfois à des incompétents. Là résidait le mal, dans l’abstention craintive où ils s’étaient trop souvent renfermés. A partir du 17 mai 1917, par une série de notes et de mesures appropriées, le commandement s’ingénie à les mieux persuader qu’ils peuvent, au contraire, et qu’ils doivent dire à leurs chefs leurs doutes, et qu’à tout échelon leurs chefs doivent leur savoir gré de les dire ; que « l’attitude bienveillante du chef en de tels cas est conforme aux traditions les plus nobles de l’armée française ; » que « le confident professionnel de l’officier, c’est son chef ; » que « le chef doit justifier cette confiance, qui repose