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probabilités : elle ne me paraît cependant pas imminente et dans ce cas la Prusse aurait pour la Russie les complaisances que celle-ci a eues à son égard dans la guerre contre nous.


A Madame Singer.

Pollone, 27 décembre 1871.

Pourquoi rêveriez vous de la jeunesse ? Il y a mieux à faire : la retenir. La jeunesse du corps est charmante, mais ce n’est pas la seule. Celle de l’âme, intellectuelle et aimante, n’est pas moins belle, et si j’avais à choisir entre Lamartine écrivant Grazella au milieu des douleurs rhumatismales et un jeune débauché de vingt ans guettant la femme de chambre de sa mère, je préférerais Lamartine, je le trouverais plus jeune. Cette jeunesse-là ne dépend ni des accidents extérieurs ni des lois physiques ; elle est en notre pouvoir ; nous sommes à même de la prolonger aussi bien que de la créer et elle est savoureuse autant que l’autre est brutale, égoïste, évaporée ; si elle a moins d’effervescence et d’agitation, elle a des lointains plus étendus et des retentissements plus profonds.

Aussi, madame la sceptique, qui souriez en lisant ces sentimentalités, je vous souhaite, pour tout vœu de nouvel an, de rester toujours jeune. Vous le serez pour moi tant que vous me garderez votre affection. En ce qui me concerne, il y a si longtemps que je considère une vieillesse verte et saine comme l’âge le plus poétique et le plus beau, que je ne m’épouvante pas du pas nouveau que je fais vers cette couronne de la vie. Dans les courses de montagne il y a un moment unique, c’est lorsqu’on arrive au sommet qu’on poursuit depuis des heures : on y jette une vue ravie sur les plaines et sur les lacs ; entre deux fatigues, on est heureux. Ainsi est la vieillesse : la halte enchantée entre la fatigue de la vie et celle de la mort.

Mon histoire de l’Académie est très simple : pour Lamartine d’abord, pour l’Académie, pour Augier, pour moi, il m’a paru souhaitable qu’un homme de tempête ne parlât pas d’un homme de tempête au milieu d’une tempête, et j’ai spontanément écrit à l’Académie pour demander le retard de ma réception. M. Patin m’a répondu par un assentiment très affectueux. J’en suis là. Plus tard, je m’entendrai avec Augier sur l’époque. Je désire que ce ne soit pas avant l’hiver de 1873. Je suis si