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hiérarchies[1], ses intérêts, ses passions et ses préjugés, ses partialités enfin. Quand il allait chez les Feuquières, il n’entendait sans doute pas dire de bien de ses anciens maîtres de Dijon, les Jésuites. Quand il sortait de chez la comtesse de Fleix, il entendait flétrir Port-Royal. Son ami Nicolas Colbert, sur les affaires publiques, ne lui parlait pas le même langage que le père de son futur ami Charles-Maurice Le Tellier. Il se rendait compte qu’entre ces extrêmes, le bon serviteur de l’Église devait, pour l’amour du bon ordre comme pour le bon exemple, se résigner à des contacts qu’il ne choisit pas, subir des contradictions qui résistent, accepter des transactions qui s’imposent. Il se rendait compte que la vertu et la vérité, malgré leur droit, cheminent en un chemin où il faut « grimper » avec effort. On n’admirera jamais trop cette belle page du Panégyrique de saint Bernard, le « Portrait de la Jeunesse. » Or c’est à vingt-quatre ans, remarquez-le, qu’il est capable de juger avec cette raison calme et haute, son moi d’hier, le « jeune homme de vingt-deux ans, » qui s’imagine que la vie n’aura pour ses espoirs infinis que des complaisances, pour sa bonne volonté que des couronnes. Voilà ce qu’il faut se rappeler soigneusement, et poser au seuil de sa vie, pour la comprendre en ses démarches et ses succès divers, pour ne pas s’étonner plus qu’il ne convient des uns ni des autres, pour les juger en équité.

Mais, sans aller si loin, il y avait d’autres conséquences, plus prochaines, à tirer de cette adolescence, qui ne fut, de 1642 à 1652, ni close ni morne, de ces premières armes parfois un peu tapageuses à travers des milieux agités, de ces exploits oratoires tentateurs. Il y avait à prévoir que, si, dès 1652, Bossuet quittait Paris, il y reviendrait… En vain, son père, provincial sans doute ambitieux, peut-être même, nous l’avons vu, intrigant, mais modeste en son entregent et limité dans ses ambitions, lui a préparé une carrière analogue

  1. C’est ainsi que l’abbé de Rancé avait obtenu, dès 1648, de l’archevêché de Paris et de la cour de Rome, la permission de se faire ordonner extra tempora, avec dispense d’âge, sans observer les « interstices : » il reçut en trois jours, des mains du coadjuteur Paul de Gondi, les ordres mineurs, le sous-diaconat et le diaconat. C’est ainsi encore qu’à la licence de 1652, Bossuet ne fut, malgré ses succès et sa notoriété, classé que le troisième après l’abbé de Rancé, premier, et l’abbé Chamillart le prieur de Sorbonne, second. « Selon un usage très ancien, on ne tenait pas compte du mérite pour assigner le premier lieu, mais de la qualité du sujet. » — Le P. Léon Serrant, ouv. cité, pp. 1, 19, 21 et 22.