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allemand battit vainement les vieilles murailles, laissant quelque répit à la ville où l’évacuation put s’organiser. La rage des assaillants s’épuisait à la ténacité des noirs. Contre cette poignée d’hommes il fallut des renforts. Sans plus de résultats. Une-division entière s’y brisa. Entre temps, les nôtres arrivaient et quand le…e bataillon sénégalais reçut son ordre de relève, il sortit en bel ordre, emmenant ses morts et ses blessés, à la barbe des Allemands stupéfaits du nombre de leurs adversaires.

En de rares allusions, ces prouesses ont transpiré dans le public : les Sénégalais souvent à la peine, ne sont pas toujours à l’honneur. Ils n’ont guère jusqu’ici bénéficié des renseignements « de source autorisée » abondamment fournis sur d’autres corps. En revanche, il fut dit et l’on a laissé, sur leur compte, s’accréditer une légende. Les troupes noires auraient, les 11 et 12 juin, à Courcelles et sur le plateau de Méry, défoncé l’armée Von Hutier, sauvé Compiègne et la route de Paris. Amiens Plato, sed magis amica veritas. La vérité m’oblige à dire qu’en ces glorieuses journées, nos Sénégalais n’étaient représentés que par un seul des leurs : le fidèle et dévoué Baba Koulibaly, ordonnance du général Mangin.


LA QUESTION DE LA FORCE NOIRE

La douloureuse année 1917, néfaste à tant d’égards, encombrée de querelles politiques, ne fut pas favorable aux questions militaires. La mode était de les envisager d’un point de Vue pacifique, voire pacifiste. Les remous de ces ondes asphyxiantes avaient submergé pour un temps les velléités de recrutement noir. Il fut implicitement admis que plus une recrue ne serait demandée à notre Nigritie peuplée de quelque trente millions d’âmes, dont, tant manœuvres que soldats, cent mille à peine avaient été amenés en Europe. En revanche, des intérêts à façade économique, peut-être pas tous publics, s’accommodaient fort bien d’une intensification imposée à l’exportation des fournitures de guerre, dont la liste est évidemment élastique. Conception naïve où tyrannique au choix, tout à fait dans la norme d’ailleurs de nos conceptions coloniales surannées.

L’avènement du cabinet Clemenceau remit les choses en place. Aux commissions sénatoriales de l’Armée et des Affaires