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effet, été remises à une mission spéciale, dirigée par un Commissaire de la République, choisi dans le Parlement, M. Blaise Diagne. Esprit délié, supérieurement intelligent, ce Sénégalais disert, voire éloquent, a longuement vécu en France. De l’immense Afrique Occidentale, il ne connaissait guère que le vestibule, le Bas-Sénégal. Mais M. Diagne, étant noir lui-même, jouissait sur tous les fonctionnaires possibles européens d’un avantage inégalable. Il le comprit fort bien et, multipliant sa force, il composa sa mission de ses frères de race : jeunes gens appartenant aux premières familles de notre Afrique Occidentale, anciens élèves de nos lycées, engagés simples tirailleurs à la mobilisation, aujourd’hui officiers à la pointe de l’épée, chevronnés, cités, légionnaires, tel le prince Ald-el-Kader Mademba, délicat poète à ses heures, et ses frères, fils du vieux roi de Sansanding, Mademba, notre fidèle ami de six lustres. Faisant prêcher la croisade de recrutement par de tels apôtres, fort habilement, M. Diagne la nationalisait dans la race, qu’il associait à l’œuvre de libération commune. L’effort demandé cessait d’être un inintelligible impôt du sang, à fins lointaines, hors de vues, exigé par menaces et souverainement impopulaire. C’était le consentement obtenu de la masse du peuple qui là comme partout, plus que partout même, en l’absence d’Etat fort, seul existe, mais qu’il faut savoir entraîner : retour par d’autres voies du recrutement volontaire, si facile à provoquer et éduquer depuis dix ans, pour l’acheminement au système régulier des classes.

Il est possible aujourd’hui de révéler, pour la confusion de certains augures, les effectifs recrutés avec certitude de les voir s’accroître : 73 000 hommes en quatre mois. Ils avaient dépassé toutes les prévisions que M. Angoulvant, le distingué Gouverneur général de nos Afriques noires, se croyait fondé à concevoir. Forçant eux-mêmes les barrages, ils amenèrent même un instant à envisager l’absorption régulière, par organes permanents, de nos disponibilités noires africaines, arrachées jusqu’alors sans méthode et par à-coups. Ces débuts auraient ménagé par la suite aux Allemands de pénibles surprises, conditionnant, dans une certaine mesure, les éventualités militaires que 1919 nous a épargnées ; à nos poilus, d’âge rassis, il eût pu être bon alors, pour les longues étapes de victoire, d’assurer de jeunes compagnons.