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malaises dont il se plaignait. Sa santé, robuste jusque-là, sa force exceptionnelle, sa prestance que l’âge n’avait pas diminuée, cet âge même qui était encore celui où l’homme reste en possession de toute sa vigueur, faisaient illusion et avaient contribué à éloigner la crainte de le voir mourir prématurément. Mais voici que, brusquement, l’état s’aggravait ; de jour en jour, les complications survenaient dans la santé du souverain à qui, jusque-là, semblait promise une longue existence. On voit alors les inquiétudes se multiplier dans son entourage et se répandre rapidement dans l’empire.

Ces inquiétudes ne s’inspirent pas seulement du péril qui menace la vie du Tsar, elles s’inspirent aussi, des appréhensions qu’ont éveillées aux premières nouvelles de sa maladie l’insuffisance de son fils ou, pour mieux dire, l’ignorance dans laquelle on était de ce qu’il valait moralement et intellectuellement. t)n ne savait rien de lui, rien, si ce n’est cependant que, contrairement à la méthode employée par Nicolas Ier et Alexandre II envers leur héritier, Alexandre III avait systématiquement tenu le sien à l’écart des affaires et qu’en conséquence le futur Empereur n’avait pu se préparer à l’immense et lourde tâche qui allait lui incomber.

Les inquiétudes sur la santé du souverain augmentaient d’heure en heure. Au mois de septembre, les médecins constataient une albuminurie intermittente et soupçonnaient une lésion du côté du cœur. En quelques semaines, l’Empereur avait maigri de cinquante livres, ses pieds gonflaient, il ne pouvait plus supporter de chaussures ; enfin, symptôme plus alarmant, il s’endormait à table. Il pouvait cependant travailler encore un peu, et dans son entourage, on l’y poussait afin de le distraire.

Ce qui le préoccupait surtout, au milieu de ses souffrances, c’était le prochain mariage de son fils, qu’il aurait voulu célébrer avant de mourir. Alors âgé de vingt-cinq ans, le grand-duc héritier était fiancé depuis quelque temps à la princesse Alix de Hesse, quatrième fille du grand-duc régnant de Hesse-Darmstadt, Louis IV, et d’Alice d’Angleterre, fille ainée de la reine Victoria. Née en 1872, elle venait d’atteindre sa vingt et unième année ; sa sœur ainée, Victoria, avait épousé le prince Louis de Battenberg ; la cadette, Elisabeth, le grand-duc Serge Alexandrowitch, et Irène, la troisième, le prince Henri de Prusse. Leur mère étant morte en 1878, leur grand’mère, la