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éclairera sur ce point, mais, dès maintenant, elle doit bénéficier comme lui ; d’une part, du doute qui règne encore quant à la légitimité des reproches qu’on leur adresse et, d’autre part, de la cruauté de leur destin. Contenions-nous de rappeler que lorsque Nicolas II est investi de la redoutable puissance autocratique, étant si peu préparé à l’exercer, on se demande dans les gouvernements européens s’il restera fidèle à la politique suivie par son père.

L’incertitude à cet égard était d’autant plus permise que, le ministre Giers, conseiller éclairé et fidèle d’Alexandre III était condamné par l’état de sa santé à quitter le pouvoir et qu’on ne savait encore quel serait son successeur. Mais bientôt on se rassurait ; le manifeste impérial, publié le 2 novembre, après avoir désigné comme héritier le grand-duc Georges, frère puîné de l’Empereur, jusqu’au jour où celui-ci aurait un fils de son mariage, déclarait que le nouveau souverain suivrait obstinément la politique pacifique de son père et, pour prouver qu’il n’en voulait pas changer, il demandait à Giers, qui lui avait apporté sa démission, de conserver encore ses fonctions pendant quelque temps. Il faisait donner les mêmes assurances au gouvernement français. Recevant sir Franck Lascelle, ambassadeur de la Grande-Bretagne, il écoutait avec complaisance les propos que lui tenait ce diplomate, qui rêvait dans l’avenir une Angleterre réconciliée sur tous les points avec la France et la Russie et contractant avec elles une alliance qui serait la plus sûre garantie de la paix.

En même temps, il faisait à son oncle le prince de Galles, venu pour assister aux obsèques d’Alexandre III, le plus affectueux accueil. Il est vrai que le futur Edouard VII se conduisait avec beaucoup de tact et de dévouement.

« On l’a remarqué, est-il dit dans un rapport, il a su se rendre utile avec discrétion au milieu du grand désarroi causé par la catastrophe. Il a donné avec simplicité des conseils judicieux sur ce qu’il y avait à faire et on lui a été reconnaissant de son rôle tout amical. La reine Victoria a fait preuve aussi de beaucoup de sympathie et d’affection pour les jeunes souverains. »

Bien que l’auteur de ce rapport, tout en reconnaissant qu’il y avait là des sentiments personnels qui assurément avaient leur importance, déclarât qu’ils ne pouvaient primer les intérêts nationaux, on peut voir dans ces incidents l’origine de l’Entente