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d’actions belles et bienfaisantes. Vouloir être plus qu’humain, est le rêve d’un fou que sa folie mène au crime. Un toi vertige ne s’empare pas seulement des individus : il peut gagner une foule et s’étendre à un peuple tout entier. Tel fut le cas des Perses ; la même mégalomanie, qui avait affolé Xerxès, les atteignit de sa contagion : le châtiment ne pouvait manquer de s’abattre sur eux.

C’est pourquoi un funeste pressentiment étreint les cœurs des vieillards restés à l’arrière. Ils évoquent l’image de leur formidable armée. Archers, cavaliers, soldats de toutes armes ont afflué de tous les points du royaume. « La royale armée, dans sa marche destructrice, a déjà touché au continent… Tout cède devant le fougueux maître de la populeuse Asie. Par terre et par mer son immense armée s’élance vers les plaines de la Grèce… Quelle bravoure pourrait soutenir le choc de ce vaste torrent d’hommes ? Quelles barrières assez puissantes arrêteraient les flots de cette mer irrésistible ? » C’est la ruée. C’est le torrent de l’invasion. Il en vient de partout, interminablement, et le flot, qui ne cesse de s’écouler, a déjà en partie submergé la résistance. Jamais on n’avait vu un tel déploiement de forces, un tel appareil de puissance plus qu’humaine… Et voilà justement ce qui donne à penser aux sages vieillards et qui inquiète leur prudence. Trop est trop. « Quel mortel échappera aux perfides trahisons de la Fortune ? Quel est l’homme au pied agile qu’un bond heureux mettra hors du piège ? Caressante et flatteuse d’abord, la calamité attire les humains dans ses rets. » Car les succès trop faciles et l’excessive prospérité, qui excitent l’ambition et invitent à la folie des grandeurs, sont autant de moyens qu’emploie la Némésis pour provoquer ces grandes catastrophes destinées à remettre les choses en place et rétablir l’ordre dans l’univers.

Autre forme du même pressentiment : le songe d’Atossa. On sait que les songes, si fréquents dans la tragédie grecque, n’y sont pas un ornement, une machine poétique : ils expriment le lien qui subsiste entre le monde d’ici-bas et celui de l’au-delà, incomplètement séparés l’un de l’autre dans cette jeunesse des temps imprégnée de surnaturel. Les morts continuent d’entretenir les vivants dans le silence des nuits : le songe est la parole des voix qui se sont tues. Les vivants, à leur tour, conversent avec les morts qu’ils appellent à leur aide. C’est elle-même, Atossa, qui, tout à l’heure, donnera aux vieillards le conseil d’évoquer l’ombre de Darius. Pour le moment, elle est toute à ce songe qui vient de la bouleverser : elle a dans les yeux l’image de ces deux femmes qui lui sont apparues personnifiant