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envie de courir à la frontière, qui heureusement n’avait aucun besoin d’être défendue. Mais nous nous demandions comment il se pouvait faire que du chef-d’œuvre grec il eût passé si peu dans l’actuelle transcription. Cela tient, je crois, en partie, au caractère lyrique de l’œuvre d’Eschyle. Certes, les vers de Jules Lacroix dans sa traduction d’Œdipe Roi sont à peine des vers ; pourtant la beauté de l’original subsiste : c’est qu’elle ne dépend pas uniquement de la forme, et qu’elle réside aussi bien dans le mouvement de l’action et dans la gradation des sentiments qui nous étreignent d’une angoisse grandissante. Mais la beauté d’une œuvre lyrique ne se sépare pas de la valeur, du style et des vers : elle ne s’accommode pas de la médiocrité. J’estime qu’une prose fidèle eût mieux valu. Traduire Eschyle en vers ! A moins d’être un très grand poète, il est sage de ne pas s’en mêler.

L’interprétation, comme la mise en scène, est sans éclat. Je ne vois à signaler que M. Albert Lambert qui a très bien dit le récit de bataille, et M. de Max qui vient, à la fin de la pièce, chanter, danser et faire mille folies devant le tombeau de Darius.


Le moment était-il parfaitement choisi pour mettre à la scène un soldat qui, un soir de ribote, a tué son sergent ? La pièce que vient de représenter le théâtre national de l’Odéon, le Crime de Potru, tirée d’un de ses romans par M. Charles-Henry Hirsch, a pour héros un soldat meurtrier de son sergent, et nous attendrit sur le sort de ce pauvre diable : — c’est l’assassin que je veux dire, non la victime.

Donc le soldat Potru a tué son sergent. S’il l’avait tué pour le voler, il y aurait à redire. Mais loin de ce brave garçon toute pensée intéressée ! Il avait bu ce soir-là : ce n’est pas un crime. Encore y a-t-il la manière : rien de plus touchant que la cause des libations abondantes auxquelles se livre Potru. Il aime Toinon, sa payse ; l’absence lui est intolérable ; alors, il noie son chagrin dans le vin : c’est classique. Comme il regagne la caserne en compagnie de son camarade Charonneau, un sergent vient à passer. Au lieu de passer tout simplement, ce gradé insiste. Il fait à Potru des remarques désobligeantes sur les zigzags de sa démarche. Il manque de tact. Ne va-t-il pas jusqu’à le menacer de le punir ? Alors Potru lui passe sa baïonnette au travers du corps. Voilà… Tel est le crime de Potru, si l’on peut appeler cela un crime….. Charonneau, qui n’a pas empêché Potru de commettre son crime, intervient, le crime une fois commis, il nettoie dans la terre la baïonnette ensanglantée et la graisse