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étaient peu mûrs pour le pouvoir. La véritable cause de leur refus semble avoir été celle-ci : la dissolution de la Douma avait produit dans tous les milieux libéraux, même les plus modérés, un vif mécontentement ; en se rangeant du côté du pouvoir, à un tel moment, les personnages sollicités craignirent de perdre du coup leur prestige et leur influence dans le pays. M. Stolypine le vit nettement et ce fut la raison qui le poussa à surseoir à l’exécution de son plan jusqu’à la réunion de la deuxième Douma, c’est-à-dire jusqu’à une époque où l’on pouvait espérer voir les passions se calmer et le public rendre justice à la loyauté des intentions du premier ministre.


C’est ici que se place le très curieux épisode des négociations entreprises par le général Trépoff pour la formation d’un Cabinet purement cadet ; en me décidant à faire pour la première fois et d’une manière complète la lumière sur cet incident, je commence par dire que mon récit pourra contenir certaines erreurs portant sur des détails d’ordre matériel qui me sont restés inconnus ; mais je garantis les traits essentiels de l’incident, que je suis seul en ce moment à même de faire connaître.

J’ai déjà dit, et je l’affirme de nouveau, qu’avant la dissolution de la Douma il n’y eut d’autres pourparlers autorisés pour la formation d’un nouveau Cabinet que ceux dont nous avions été, M. Stolypine et moi, chargés par l’Empereur et qui furent brusquement arrêtés par l’intervention de M. Goremykine. Or on a raconté que, dès la fin de juin, le général Trépoff avait engagé des négociations pour la formation d’un Ministère cadet ; d’autres sont allés jusqu’à prétendre que, la veille même du jour où parut l’ukase de dissolution, les Cadets poussaient la confiance jusqu’à se concerter entre eux pour se partager les portefeuilles ministériels. Ces faits, dont ni M. Stolypine ni moi n’eûmes connaissance, peuvent être matériellement exacts ; mais dans ce cas il faut croire que le général Trépoff avait commencé à négocier avec les Cadets non seulement sans l’assentiment, mais à l’insu de l’Empereur.

Au contraire, peu de jours après la dissolution, M. Stolypine fut surpris d’apprendre, d’abord par une voie secrète, ensuite de la bouche même de l’Empereur, que le préfet du