Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la villa de M. Stolypine, où, sans ce retard, il serait arrivé quelques minutes avant la catastrophe.

Prévenu par un coup de téléphone, je sautai dans ma voiture qui attendait à la porte du Ministère, et, une vingtaine de minutes après, j’étais sur le lieu du sinistre. L’horreur du spectacle qui m’y attendait dépasse toute description : le tiers environ de la villa n’existait plus, et si l’effondrement n’avait pas été plus complet, c’était parce que la maison était bâtie en bois ; un édifice en pierres ou en briques se serait effondré plus complètement et sa destruction aurait fait encore plus de victimes. Sous l’amoncellement des poutres et des plâtras, s’apercevaient des corps humains, les uns inanimés, d’autres donnant encore des signes de vie ; çà et là on pouvait distinguer des lambeaux de vêtements et de chairs ensanglantées. Des cris, des appels retentissaient de tous les côtés ; devant la porte d’entrée un amas informe de ferrailles et deux cadavres déchiquetés de chevaux, étaient tout ce qui restait d’une voiture qui, on le verra plus loin, venait d’amener les auteurs de l’attentat. De l’antichambre et des trois pièces du rez-de-chaussée qui précédaient celle où se tenait M. Stolypine, il ne subsistait littéralement rien ; mais, comme par miracle, la destruction s’était arrêtée au seuil même du cabinet de travail du premier ministre. Je trouvai celui-ci dans un petit pavillon du jardin de la villa, pâle, mais très calme, entièrement maître de lui, et donnant d’une voix brève des ordres pour le sauvetage des blessés. Parmi eux, on venait de retrouver une de ses filles âgée d’une quinzaine d’années, et son fils unique, garçonnet de quatre ans, que son père avait de ses propres mains retiré d’un amas de plâtras et de débris. M. Stolypine me raconta qu’il allait mettre le pied sur cet amas, lorsqu’il s’aperçut qu’un enfant y était à moitié enseveli et dans cet enfant reconnut son fils. L’enfant n’eut que des blessures sans grande importance ; mais l’état de sa sœur était très grave : on venait de lui donner les premiers soins et on attendait avec anxiété l’arrivée du grand chirurgien Pavloff, mandé par téléphone.

Voici, d’après ce que je recueillis sur le lieu même de la catastrophe, ce qui s’était passé exactement.

Le samedi étant le jour de réception de M. Stolypine, l’affluence dans les pièces du rez-de-chaussée de sa villa était particulièrement