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— Je crois bien que ç’a été de ma part un mouvement réflexe : mais je me rappelle aussi avoir fait ce raisonnement : il ne faut pas qu’ils puissent croire que j’ai peur. Du reste, ajouta-t-il, avant de monter dans l’appareil, je regardai dans les yeux le lieutenant Matzievski, et je vis clairement qu’il n’oserait pas : le sportsman épris de son art domina en lui, et l’emporta sur le terroriste.

On sait qu’après avoir échappé à de nombreux attentats, M. Stolypine finit par succomber le 14 septembre 1911 à Kieff, frappé de plusieurs coups de revolver, pendant une représentation théâtrale à laquelle assistaient l’Empereur et toute la cour impériale. Chose curieuse, tout en affrontant avec le plus grand courage et même quelquefois en bravant inutilement le péril, il avait toujours eu le sur pressentiment qu’il mourrait de mort violente ; à plusieurs reprises, il m’entretint de ces pressentiments, sur le ton de la plus entière conviction. En même temps, je me rappelle que ce langage me laissait incrédule parce que moi-même, malgré les avertissements qui me parvenaient d’un prochain attentat contre ma personne, j’éprouvais une sorte de certitude instinctive que je ne serais pas atteint.

Chacun des ministres d’État était individuellement condamné par décision du Comité terroriste central ; le service de la sûreté avait quelquefois, — ou prétendait avoir, — des données précises sur la personne chargée d’exécuter tel ou tel ministre : d’après ces renseignements, je devais périr de la main d’une femme connue parmi les terroristes sous le nom de « La Princesse. » Elle m’était signalée comme étant de type oriental, très brune et d’une beauté remarquable. Je m’empresse de dire que je n’ai jamais aperçu l’ombre d’une personne répondant à ce signalement et que je n’ai jamais cru à ce roman policier. « La Princesse, » si elle avait existé, n’aurait pas eu beaucoup de peine à exécuter son projet ; n’ayant que peu de confiance dans les mesures de protection que m’offrait le service de la sûreté, je préférais me passer de cette protection et me fier à mon étoile. Cependant, comme les attentats devenaient de plus en plus fréquents et qu’il fallait tout de même prévoir le pire, toutes mes dispositions étaient prises afin que, le cas échéant, les affaires n’eussent à subir aucune interruption du fait de ma disparition : un pli cacheté, déposé sur mon