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ceux-ci aucun soulagement réel ; le nombre total des grands et moyens propriétaires en Russie ne dépassait guère le chiffre de 130 000, et la superficie totale de leurs terres, celui de 66 millions de dessiatines, contre 155 millions de dessiatines appartenant aux paysans (une dessiatine équivaut à peu près à un hectare). Partagée entre les paysans, cette superficie n’aurait ajouté à chacun d’eux qu’une fraction de dessiatine. D’autre part, les grandes et moyennes propriétés étaient des centres de culture et de progrès agricole, et avec leur disparition le rendement des terres ne manquerait pas de diminuer : le système auquel il fallait tendre était évidemment une juste combinaison de la grande, de la moyenne et de la petite propriété, à l’instar de ce qui existe en France.

Pour subvenir au besoin réel de terres qu’éprouvaient les paysans, M. Stolypine avait en vue, d’un côté, l’acquisition par eux, par voie d’achat avec l’aide de la banque spéciale dite « des paysans, » de terres appartenant soit aux « apanages » (propriétés privées de la famille impériale), soit à la Couronne ; et de l’autre, le développement d’un large courant d’émigration vers les régions fertiles de la Sibérie, où l’on devait céder aux colons des terres de « Cabinet, » c’est-à-dire appartenant en propre à l’Empereur. Comme première mesure, deux ukases décrétaient la mise en vente immédiate d’environ 10 millions de dessiatines appartenant aux deux premières catégories.

L'ensemble des mesures qui constituaient la réforme agraire de M. Stolypine prit la forme d’une série d’ukases dont le principal, celui qui libérait le paysan du « mir, » portait la date du 25 novembre 1906. Ces ukases, édictés sur la base du fameux article 87, devaient être, conformément à la loi constitutionnelle, soumis à la Douma dans les trois mois qui suivraient sa convocation ; la seconde Douma n’ayant eu, comme nous le verrons plus loin, qu’une existence éphémère, c’est à la troisième Douma qu’échut la tâche de leur donner la forme d’une loi définitive.

La réforme agraire de M. Stolypine passa à la Chambre basse presque sans retouches et à une très forte majorité ; mais au sein du Conseil de l’Empire elle suscita une énergique opposition et ne fut votée qu’à une voix de majorité, en comptant celles des ministres qui étaient membres de cette assemblée. Or mon frère et moi, dont les voix étaient acquises au projet du