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notre front et le feu roulant d’artillerie qui s’abattit au même moment sur leurs tranchées furent pour eux des phénomènes inexplicables. Ayant déjà peine à imaginer que nous fussions encore vivants, comment eussent-ils pu concevoir que nous réagissions avec une telle vigueur ? Et l’on peut s’étonner en effet que, sur aucun point de notre front, ces huit ou neuf heures de bombardement consécutif n’aient amené de fléchissement, que nulle part la vigilance des fusiliers ne se soit trouvée en défaut ni leur matériel hors de service. Il n’y eut un peu de surprise pour nos troupes que dans le segment de la Briqueterie, où les hommes, dès le premier cri d’ « alerte au poste de combat ! » s’étaient portés à leurs banquettes de tir et s’apprêtaient à recevoir l’ennemi de la belle façon. Mais rien ne sortait de la tranchée adverse. Et cependant les balles claquaient sur les créneaux ; les « moulins à café » tournaient sans discontinuer. L’ennemi approchait manifestement ; on sentait son souffle : on ne le voyait pas. Et soudain on l’aperçut qui semblait surgir de la prairie et qui courait, sous la protection d’une mitrailleuse placée sur la digue de Plaschendaele, vers notre tranchée de première ligne, dont les défenses étaient quelque peu endommagées. Par quel tour de sorcellerie avait-il pu se glisser jusque-là sans qu’on le sût ? On n’en était pas encore bien informé quand une seconde vague sortit de la prairie, un peu à droite de l’endroit d’où était sortie la première. Chacune des vagues comptait une cinquantaine d’hommes. C’étaient des feldgrau qui, dans la nuit précédente, avaient réussi à fouir subrepticement deux ou trois boyaux conduisant de leur tranchée dans la plaine. Ils s’y étaient massés avant l’attaque pour tomber sur nos ailes et nous prendre à revers. Mais le stratagème fut éventé à temps. En moins de cinq minutes, l’enseigne de Lestrange avait brisé la double attaque boche dont les tronçons cherchaient à regagner leurs boyaux de départ en se dissimulant parmi les herbes. Le nettoyage de la prairie avait été si rapide que les deux sections en réserve de la 12e compagnie n’avaient pas eu besoin d’intervenir et que le lieutenant de vaisseau Geslin, pendant la suite de l’attaque et malgré le bombardement d’une extrême violence qui s’abattait sur la Briqueterie, put soutenir de son feu les compagnies voisines, tant vers la route de Nieuwendamme que dans le champ de navets qui s’étendait entre la ferme Bamburg et le Boterdyck.