Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour faire croire au Boche qu’il a encore devant lui « une force capable de lui tenir tête, » les hommes, « se voyant perdus, » s’avisent d’un stratagème inspiré peut-être du siège de Sidi-Brahim : ils ramassent les baïonnettes des morts et des blessés et les plantent dans la tranchée, « de façon que les pointes dépassent le parapet. » L’ennemi croit que le ralentissement du feu cache une ruse, que les défenseurs ont été renforcés, et s’arrête. Ce temps de répit qu’il nous accorde est mis à profit par le commandement, qui dirige à la tombée de la nuit le second maître Bayon, avec une demi-section de la 6e compagnie, sur la ferme de l’Union, et la consigne de « tenir à tout prix. » Il ne s’agit d’ailleurs que d’une simple avant-garde et, peu après (huit heures), apprenant que tous les officiers du front W-Union sont hors de combat, le « colonel » Delage charge le lieutenant de vaisseau Gamas « d’aller prendre sur place le commandement » de la défense. Gamas, en arrivant à l’Union avec deux sections de la 1re compagnie du 1er régiment, n’y trouve plus qu’une poignée d’hommes dont les munitions mêmes commencent à s’épuiser. Son premier soin est de fortifier nos antennes menacées par la chute du fortin. Cependant, sur le rapport d’un blessé qui arrive des ruines de W et qui prétend qu’ « il y a encore là de nos hommes qui tiennent, » il envoie aux renseignements dans cette direction l’enseigne Fouqué, avec une escouade et huit pionniers. Exploration délicate le long d’un arroyo qu’il faut passer sur une planche, à la file indienne. Fouqué n’avance qu’avec précaution. Découvert par une fusée éclairante et reçu à coups de fusil, il craint une méprise et crie : « Ne tirez pas ! Nous sommes des Français. » La fusillade redouble et Fouqué, renseigné, se replie par la passerelle, perdant au cours de l’opération le quartier-maître Gamion. Toute notre résistance doit se ramasser pour le moment autour de la ferme de l’Union : il faut empêcher le Boche de franchir le fossé d’eau, qui est notre meilleure sauvegarde contre ses assauts ; s’il parvient, malgré tout, à le franchir et à prendre pied dans un élément de nos tranchées, la section Fouqué l’en chassera par une contre-attaque énergique.

Toutes dispositions étant ainsi prises, l’évacuation des blessés vers l’arrière se poursuit régulièrement. Il n’est pas encore question d’abandonner l’Union. De nouveaux renforts viennent même d’arriver de Nieuport : une section de la