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reusement la fumée qui couvre tout a empêché les Boches de voir les dégâts qu’ils ont faits dans le front de la 9e compagnie ; ils continuent à bombarder « comme des fous » et n’attaquent pas. Bécam a le temps de faire venir de nouvelles mitrailleuses, et la brèche du parapet est réparée vaille que vaille. Pour rassurer complètement ses hommes, à un moment où le ralentissement du feu permet de croire à une attaque prochaine, il saute sur le parapet et crie aux Boches :

— Venez-y donc, tas de salauds !…

Vieux geste renouvelé de celui du commandant Varney, l’Achille des fusiliers, aux premières attaques de Melle, et qui conserve toute sa puissance de suggestion sur les hommes ! Jean Gouin rit et serre son fusil avec décision ; les Boches peuvent venir : ils seront bien reçus. Mais l’ennemi s’est ravisé ou plutôt, retournant contre nous la ruse qui nous avait si bien servis à la Grande-Dune et à l’Union, il feint d’arrêter son feu, après une demi-heure de bombardement, pour nous engager à regarnir nos tranchées. On croit la « bamboula » terminée. On respire, on se compte. C’est un simple entr’acte. Au bout de dix minutes, les Boches « hissent un pavillon rouge, » et le bombardement des premières lignes reprend, plus violent que jamais, car le bombardement de l’arrière, où l’un de nos dépôts de munitions avait sauté « dans le segment α, » ne s’était pas arrêté un seul instant : les routes, la plaine étaient bouleversées ; les obus avaient éventré un cimetière de tirailleurs, dont nos hommes, le soir, devront enjamber les cadavres « étalés parmi les décombres sous la pluie battante. » C’était l’habituel tir de barrage, conçu à la façon d’un isolant, « pour empêcher les renforts d’arriver. » Devant cette formidable consommation de projectiles (plus de 4 000 obus en une demi-heure) et bien que les communications téléphoniques eussent été coupées dès le début du bombardement, tout notre front avait été alerté jusqu’à Coxyde. En même temps l’artillerie du secteur (batterie 2 bis, « qui semble tirer bien lentement, » la Rageuse, — nom d’une autre batterie « qui prend en enfilade les tranchées ennemies » — et les 58 des tranchées) se déclenchait à la demande du commandant Bertrand, qui chargeait d’autre part le capitaine Ferrât d’organiser en 1re ligne « l’arrivée des réserves. » Mais les boyaux étaient « obstrués : » une corvée de territoriaux, expédiée d’urgence, réussit tout au moins à dégager le boyau central