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réussi à empoisonner la Roumanie. Il l’a léchée de sa langue perfide, en Transylvanie, en Bessarabie ; mais la santé robuste d’un pays qui, martyr et héros, a été successivement purifié par la défaite et retrempé par la victoire, a réagi, et ce pays sauvé, qui touche à la récompense de son sacrifice, a rejeté le venin. Ramenée une première fois et maintenue d’autorité derrière la Tisza, l’armée roumaine, qui s’y est vu attaquer, a fait un nouveau bond, et elle vient d’entrer à Budapest. Tandis qu’elle a le pied sur l’une des têtes de l’hydre, va-t-on lui permettre de l’écraser ? Elle ne demande rien, que de n’être pas paralysée. Mais c’est toujours la même question, la même en Hongrie qu’en Russie. Les Puissances alliées et associées, là aussi, savent-elles ce qu’elles veulent ? Veulent-elles quelque chose ? Veulent-elles une seule chose ? Sont-elles toutes, à présent, convaincues que le bolchevisme n’est pas une théorie dont H est amusant ou instructif de suivre l’application, un exercice académique, l’expérience sans danger d’une forme inédite de gouvernement, qui prête à la méditation et au commentaire ; mais qu’au contraire, lorsqu’on le rencontre, lorsque, provoqué par lui, harcelé chez soi, on lui a sauté à la gorge, et on le tient bien, il faut le tuer ?

L’Allemagne, qui a sécrété le virus dans ses organes en décomposition, qui l’a répandu au dehors pour ses fins monstrueuses, et qui n’avait pu se garder tout à fait de l’infection en manipulant les bouillons de culture ; l’Allemagne, pour qui il a été un moyen de corrompre la paix, après avoir été un moyen de corrompre la guerre ; l’Allemagne elle-même, en un effort qui n’a pas été très violent, l’a vomi, aussitôt qu’elle s’est aperçue qu’il allait s’attaquer à elle. Où parle -t-on maintenant de bolchevisme en Allemagne, et, si l’on en parle encore quelque part, où y croit-on, surtout où le pratique-t-on ? Il n’est plus, et sans doute il n’a jamais été, qu’un article d’exportation. Le reste était comédie : on feignait l’épouvante, pour épouvanter. « Ne me forcez pas à être plus malade que je ne le suis ; sinon, je vous communique cette peste, et vous en mourrez ! » Le Traité signé, la paix conclue, et une paix que, quoi qu’elle en ait dit, elle attendait plus dure (la preuve en est dans la facilité, à peine déguisée, avec laquelle elle l’a acceptée), l’Allemagne n’a plus qu’une pensée, se redresser vite, se relever vite, et, pour se relever travailler. A coup sûr, le peuple allemand, comme tous les peuples, a senti passer ce qu’on a appelé « la vague de paresse, » et qui n’est peut-être que la fatigue d’une tension excessive et l’effet de la rupture des habitudes. Il a ses grèves, ses chômages multipliés, ses