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chose, — et beaucoup plus qu’on ne l’imaginait, — de sforzesco et de borgiesco. Pourquoi ? Parce qu’en dépit des variations du milieu, il y a dans l’homme une somme d’humanité à peu près constante. Les condottieri se sont transformés moins qu’ils ne se sont travestis en manieurs d’argent et en « capitaines d’industrie. » Les provinces sont des marchés, et l’on se dispute un port comme on s’enlevait un château. L’enjeu de la guerre s’est industrialisé, commercialisé, ainsi que la guerre elle-même. Et c’est tout.

Mais, sans disserter davantage, regardons la carte. L’Italie a atteint, du lac de Garde au Quarnero, ses « limites naturelles, » le cercle des Alpes. Le socialiste Modigliani a beau dire, dans le rapport présenté par la minorité de la Commission sur le Traité avec l’Allemagne, qui n’est pas celui où l’Italie est immédiatement intéressée ; il a beau prétendre que, de toutes les Puissances belligérantes, c’est l’Italie qui, pour ses sacrifices et ses dommages, reçoit le moins. Plus franc, le Corriere della Sera reconnaît qu’aucun État n’a désormais de meilleures frontières. La défense de l’Italie est reportée sur les Alpes, et même en avant des Alpes. Au-dessus de Salorno, au delà de la limite des langues, par delà Mezzo Tedesco et Nova Tedesca, la terre italienne est protégée contre un retour offensif du germanisme, et elle est protégée, au delà du Tagliamento et jusqu’au revers du Carso, contre une avance agressive du slavisme. L’objection linguistique ou ethnographique n’a point prévalu ; l’argument stratégique a compté. Mais regardons encore, voyons un peu plus loin. Où est l’Autriche-Hongrie ? Plus d’Autriche-Hongrie. Et qu’est-ce que l’Autriche réduite aux pays de langue allemande, avec ses huit ou dix millions d’habitants ?

Il n’y a qu’à tourner la page et voici la carte de France, mise au point après le 28 juin. L’affreux liséré vert est effacé ; grâces immortelles en soient rendues à ceux qui ont signé le Traité. Pourtant, même en renonçant à atteindre politiquement ses limites naturelles, la France n’a pas, en possession si restreinte que ce soit, mais permanente et perpétuelle, sa frontière militaire au Rhin. Ici, c’est l’objection linguistique qui a prévalu, et c’est l’argument stratégique qui n’a pas compté. Mais il y a pis : « Et l’Allemagne d’autre part, » dit le Traité de Versailles. Sans doute, le Traité de Saint-Germain dit aussi : « Et l’Autriche, d’autre part. » Quel rapport ? Comparez l’Autriche à l’Allemagne, et cette Autriche émiettée à cette Allemagne concentrée ! L’Italie a, en face d’elle, l’Autriche des duchés, du Tyrol et du Vorarlberg ; et la France a, en face d’elle.