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de cette association fameuse qui devait faire apparaître de plus en plus ce couple illustre comme le sauveur de la patrie, et porter toujours plus haut le renom des « Dioscures.»

Toute cette partie du livre, qui raconte les événements de Russie, est pour nous d’un vif intérêt. C’est la première fois que nous avons un récit complet de ces campagnes, si fertiles en péripéties, sur lesquelles nous ne disposions encore que de renseignements rares et évasifs. Elles ont établi solidement la réputation manœuvrière de la raison sociale Hindenburg-Ludendorff. La série des combats livrés par eux dans la Prusse orientale comme chefs de la IIe armée, puis à la tête de la VIIIe, enfin comme commandants du groupe d’armées de l’Est et de l’ensemble des forces alliées, de la Baltique aux Carpathes (Oberbefehlshaber Ost) restera mémorable dans l’histoire militaire. — Encore faut-il ajouter que le tableau serait sans doute un peu différent, si les ours aussi savaient peindre. La manœuvre de Tannenberg est fameuse pour sa hardiesse. Le parti de défiler devant l’armée Rennenkampf, forte de 26 divisions, en ne laissant devant elle qu’un dérisoire rideau de deux brigades de cavalerie, pour aller s’attaquer à l’armée Samsonow, était d’une folle audace ; si Rennenkampf faisait seulement mine de bouger, l’armée allemande était perdue... Rennenkampf demeura inerte, et Samsonow fut écrasé... Cette immobilité d’un général qui ne passait pas pour incapable a paru si suspecte, qu’elle sera toujours un problème historique. Les Russes ont parlé de trahison. Je n’aurai garde de me prononcer sur un point si troublant. On aurait souhaité que Ludendorff en donnât une explication. Il n’est pas douteux qu’il ait remporté dans cette occasion une victoire éclatante : toute une armée ennemie fut proprement anéantie. Mais tant qu’il régnera un doute sur les motifs de Rennenkampf, dont l’intervention devait changer cette victoire en désastre, pourra-t-on dire en toute sincérité de la bataille de Tannenberg ce que Napoléon disait de ses immortelles victoires, qu’elles défiaient le temps comme l’airain ?


Mais j’ai hâte d’en venir à ce qui fait pour nous l’intérêt essentiel de ces Mémoires, c’est-à-dire à l’histoire des deux dernières années de la guerre, depuis le 29 août 1916, date à laquelle les inséparables « Dioscures » ont été appelés au commandement