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Quelques jours avant la naissance d’Aicha, Sid Kaddour. son père, s’était mis à le défricher, à enfouir les détritus, à le sarcler avec tant de soin qu’il en fit un lopin propre et cultivable. Il l’ensemença de ses légumes préférés, l’encadra de basilic et d’églantines mauresques, et, comme naissait Aïcha, pour tenter sa chance, il le nomma Djenan Benti, le Jardin de ma Fille. Onze années passèrent. La terre était bonne, bien exposée au soleil, rendait largement la peine, faisait l’orgueil du bon Sid Kaddour. Un soir, il était assis au seuil de son gourbi, occupé à tresser un éventail d’alfa, quand, sur le bord de l’enclos, il vit passer Sid Kasbadji, le père de Didenn, le fier Sid Kasbadji. Il était accompagné d’un négociant de la ville, un Marocain connu pour s’être enrichi pendant la guerre. Les deux hommes explorèrent l’endroit, parurent discuter quelque temps, puis s’en allèrent ensemble dans la direction de Tlemcen. Sid Kasbadji venait tout simplement de vendre le terrain au Marocain, qui voulait y élever une villa. Et un matin, Sid Kaddour trouva le Jardin de sa Fille encombré de tout un matériel de construction, des bidons de chaux et des sacs de ciment pêle-mêle sur ses pastèques et ses aubergines, les maçons piétinant ses semis, sacrifiant ses églantines à grands coups de cisailles. Dépossédé de façon si brutale, le Bédouin vit rouge. Il rentra au gourbi, décrocha un yatagan d’ancêtres, et la bouche crispée, l’œil en feu, il fonça sur les ouvriers. Une rixe terrible s’ensuivit, à laquelle Aïcha et sa mère assistèrent impuissantes, ne sachant que pousser des Bou ! lamentables. Du sang coula. Sid Kasbadji, accouru, fut blessé au crâne. Mais l’issue était fatale. Seul contre dix, Sid Kaddour finit par être maîtrisé. Sous la menace de matraques à clous, on l’entraîna vers la ville. Peu de temps après, c’était le procès, la condamnation du misérable à des années d’emprisonnnement.

Aïcha et sa mère demeurèrent sans ressource aucune, entourées du mépris de tous. Chaque jour, Aïcha voyait passer le père de Didenn, la tête bandée, et lorsque le regard de l’aristocrate rencontrait le gourbi, toute sa face hautaine s’empourprait de colère.

Didenn ne reparaissait plus sur la route du Marabout. Sans doute, on lui défendait de sortir, d’approcher à nouveau la fille de l’assassin de son père.