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nait rien. Le calme le plus absolu régnait autour de la splendide demeure… Le jeune sidi était-il malade ?… Mais alors, elle aurait vu passer au moins quelque taleb, quelque vieille Ma settout venant exorciser le seuil de la maison…

Parfois la lourde porte s’entr’ouvrait pour laisser passage au père de Didenn. Sid Kasbadji sortait de son harem, toujours aussi fier, la tête haute, majestueusement drapé dans ses burnous de soie…

Une autre fois, Aïcha vit arriver Dadda la négresse qui revenait du Souk, la tête surmontée d’un large plateau de bonbons aux amandes et de couronnes au sucre, rigide dans sa gaine de soie rouge, et fière des parfums que répandaient sur son passage ses fines pâtisseries.

Lasse de tant souffrir, Aïcha prit la résolution de courir à elle, de lui demander enfin où était son jeune maître, qu’on ne voyait plus sur les routes de Sidi-Bou-Medine. À ce moment, la négresse l’avait aperçue derrière le laurier-rose où elle s’était dissimulée. Un regard terrible des gros yeux ensanglantés foudroya la Bédouine qui osait rôder dans ces parages… Aïcha recula de peur. Elle ravala sa question dans son gosier.

Une semaine encore passa. Didenn restait invisible, et Aïcha ne put rien savoir de lui.

Un matin, elle s’en revenait d’une longue course à la ville, où elle était allée rendre de l’ouvrage et en demander du nouveau. Son paquet de gros drap sous l’aisselle, accablée, elle remontait la route du Marabout, tout inondée de soleil…

Comme elle arrivait à la hauteur de la fontaine, elle entendit au loin un grand brouhaha, des cris, des you-you, tout un tumulte de foule. Le bruit venait d’en bas. Surprise, elle déposa son fardeau, mit une main en visière au-dessus de ses yeux brûlés par les pleurs, et attendit.

Elle vit bientôt émerger des sapins une troupe de petits ânes chargés d’enfants en gandourahs neuves. Ces enfants gesticulaient, joyeux, secouaient au-dessus de leurs têtes de minuscules tambours de basque. Et ils chantaient en chœur, à pleine voix, un refrain qu’elle parvint à distinguer :

Ô ma chance, ma chance blanche !
Ô la chance, la chance qu’elle a !