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Elle avance, superbe, dans la blancheur de son costume, les yeux baissés sur son visage éblouissant. La précocité de son âge prête un charme étrange à cette allure majestueuse. Sur ce visage de quatorze ans, il y a la pureté de l’innocence, il y a les promesses d’une beauté de houri, il y a la dignité de la race.

Didenn a un geste de recul en présence de la femme qu’on lui a choisie.

— Prends ce que Dieu t’envoie ! s’écrie la foule à l’accompagnement des violons. Prends ce que Dieu t’envoie, ô fils des heureux ! Notre fille, nul ne l’a vue ! Notre fille est belle ! Notre fille est digne de l’alliance d’un Roi ! Notre fille est fille des Marabouts ! Prends ce que Dieu t’envoie !…

Didenn regarde s’avancer à lui cette épousée comme peu de familles pourraient en fournir… Ce mouvement, ce bruit, cette foule qui lui chante à tue-tête la louange de sa femme… Une sorte de voile s’étend devant ses yeux…Quelque chose de puissant s’agite en lui. Il sent tout à coup le passé fondre sous ses pieds. L’orgueil de la race monte au cœur de l’aristocrate. Le désir de cette femme supérieure déjà l’enveloppe et lui brûle le sang…

— Prends ce que Dieu t’envoie, ô fils des heureux ! Prends ce que Dieu t’envoie !

Didenn a écarté une aile de ses burnous pour la recevoir. La voici qui vient se blottir sous son aisselle et lui demander protection. Elle s’abandonne… Il l’entoure avec une infinie tendresse mêlée de respect.

— Prends ce que Dieu t’envoie !

Brusquement, les souhaits cessent. Les violons se taisent. La foule se retire. La portière va retomber, lorsqu’une femme pénètre, une seule. D’une voix qui tremble, elle demande à l’époux la permission d’embrasser une dernière fois sa fille. Le baiser est court et déchirant. Elle murmure à sa fille, en lui désignant son mari :

— Que Dieu te laisse longtemps son orgueil et sa couronne ! Soyez sur le bonheur, ô mes enfants !

Elle s’éloigne, en essuyant une larme.

Lentement, avec des gestes ouatés, dans l’obscurité de la chambre somptueuse, Didenn entraine sa femme vers la couche nuptiale, la fille des Marabouts pure et splendide venue dans ses bras pour former la famille…