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suivre presque jour par jour les progrès des efforts de l’empereur Guillaume pour amener l’empereur Nicolas à sa conception d’une ligue continentale contre l’Angleterre. Ces efforts étaient puissamment secondés par l’impression produite sur l’esprit de l’empereur Nicolas par les événements de la guerre qui prenaient de plus en plus une tournure défavorable à la Russie. L’empereur Guillaume en profilait pour abattre peu à peu ses cartes, et bientôt il faisait parvenir à l’empereur Nicolas un projet de traité entre la Russie, l’Allemagne et la France destiné « à mettre fin à l’insolence anglaise et japonaise. »

Mais, au moment même où Guillaume II croyait toucher au but, il se produisit entre les deux souverains une grave difficulté ; l’empereur Guillaume insistait sur la signature immédiate du traité par la Russie à l’insu de la France, laquelle devait être ensuite sommée de s’y joindre ; l’empereur Nicolas se refusait énergiquement à un pareil procédé, qui répugnait à sa loyauté non moins qu’à son bon sens. Le télégramme suivant, adressé par lui le 23 novembre 1904, à l’empereur Guillaume, fait foi des sentiments du souverain russe :

« Avant de signer le dernier projet, je juge convenable de le soumettre à la France ; aussi longtemps qu’il n’est pas signé, l’on peut y faire quelques modifications de détail dans le texte, tandis que, s’il était déjà approuvé par nous deux, cela semblerait comme si nous tentions de l’imposer à la France. En ce cas, un ratage pourrait facilement se produire. Je te demande donc ton consentement pour donner connaissance au gouvernement français de ce projet, et, dès que j’aurai sa réponse, je te la ferai immédiatement savoir par dépêche. »

Or, c’est précisément d’ « imposer » ce traité à la France qu’il s’agissait dans l’esprit de Guillaume II, qui se hâta de répondre à l’empereur Nicolas par le long télégramme suivant que je ne puis me refuser de citer en entier, tellement, depuis la première jusqu’à la dernière ligne, il me paraît caractéristique :

« Mille remerciements pour ton télégramme. Tu m’as donné une nouvelle preuve de ta parfaite loyauté en décidant de ne pas soumettre l’accord à la France sans mon consentements Cependant je suis convaincu qu’il serait absolument dangereux de prévenir la France avant que nous ayons tous deux signé. L’effet serait diamétralement opposé à celui que nous