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Après cela, et si l’empereur Nicolas doit être absous de tout reproche de trahison envers la France, il n’en a pas moins commis une lourde faute de jugement en cédant, après y avoir longtemps résisté, aux instances de Guillaume II et en acceptant de signer le traité sans avoir obtenu, au préalable, l’adhésion du pays allié. Cette faute, il la reconnut pleinement, aussitôt que, l’empereur Guillaume parti, il eut le loisir de réfléchir. Je tiens du comte Lamsdorff qu’après son retour à Saint-Pétersbourg, l’Empereur, qui avait l’air très soucieux et gêné au cours des audiences qu’il accordait à son ministre des Affaires étrangères, laissa passer environ quinze jours avant de se décider à révéler à celui-ci la signature du traité. Le comte Lamsdorff fut littéralement épouvanté par cette confidence et s’appliqua avec force à démontrer à l’Empereur les dangers de la situation et l’absolue nécessité de prendre immédiatement des mesures pour annuler le traité. L’empereur Nicolas dut reconnaître qu’il était tombé dans un piège et donna au comte Lamsdorff carte blanche pour faire tout ce qu’il faudrait afin de le tirer de ce mauvais pas. Le comte Lamsdorff s’y employa avec sa grande expérience des affaires et avec une énergie digne de tous les éloges.

Sur ces entrefaites, arriva à Saint-Pétersbourg le comte Wilte, qui venait de signer à Portsmouth le traité de paix avec le Japon ; le comte Lamsdorff était étroitement lié avec lui et comptait sur son appui pour sortir de l’imbroglio causé par la faiblesse de l’Empereur.

Mis au courant de ce qui s’était passé à Bjorkoe, et sollicité par le comte Lamsdorff de l’aider à annuler les effets du malencontreux traité, le comte Witte lui prêta dans cette circonstance son concours le plus énergique et le plus intelligent ; ceci doit être d’autant plus souligné, que le comte Witte était de longue date gagné à l’idée d’une alliance entre la Russie, l’Allemagne et la France.

Voici à peu près comment se sont passées les choses.

Le comte Lamsdorff commença par mener l’attaque sur un terrain, pour ainsi dire officieux, et par trois voies convergentes. Il y eut simultanément : lettre intime de l’empereur Nicolas à l’empereur Guillaume ; lettre du comte Witte adressée