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Sassnitz (île de Rügen), 2 août 1905, 1 h. nuit.

« Ma visite s’est très bien passée en raison de l’extrême Amabilité de toute la famille, particulièrement de ton cher vieux grand-père. Aussitôt après mon arrivée, la lecture des journaux danois aussi bien qu’étrangers m’a montré que ma visite a suscité un courant très vif de défiance et d’inquiétude, surtout en Angleterre ; le Roi en a été à ce point intimidé et l’opinion publique en a été si influencée que je n’ai pu aborder la question que nous avions convenu que je lui soumettrais. Le ministre d’Angleterre, dînant avec un de mes gentilshommes, s’est exprimé sur mon compte en termes très violents, m’accusant des plus basses intrigues et des plans les plus vils et déclarant que tout Anglais savait et était convaincu que je travaillais en vue d’une guerre avec l’Angleterre ayant pour but sa complète destruction. Tu peux t’imaginer ce qu’un homme dans cet état d’esprit a pu semer de germes de défiance à mon égard dans les esprits de la famille royale danoise et du peuple. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour dissiper ce nuage de méfiance en affectant une attitude tout à fait détachée et en ne faisant aucune allusion aux questions de politique sérieuse, d’autant plus que, connaissant le nombre de canaux qui mènent de Copenhague à Londres et la légendaire indiscrétion de la cour de Danemark, j’avais lieu de craindre qu’il ne transpirât quelque chose, ce qui eût été aussitôt communiqué à Londres, chose absolument impossible aussi longtemps que notre traité doit rester actuellement secret.

« Au cours d’une longue conversation avec Iswolsky, j’ai pu acquérir la certitude que le ministre actuel des Affaires étrangères, le comte Raben, et un certain nombre d’autres personnes influentes sont actuellement arrivés à la conviction qu’en cas de guerre et d’une imminente attaque sur la Baltique par une puissance étrangère, les Danois, en raison de leur impuissance sans remède de maintenir seulement l’ombre d’une neutralité contre l’invasion de leur territoire, s’attendent à ce que la Russie et l’Allemagne prennent immédiatement des mesures pour sauvegarder leurs intérêts et mettent la main sur le Danemark et l’occupent pour la durée de la guerre, ce qui, d’ailleurs, serait une garantie pour le territoire et pour l’avenir du pays et de la dynastie. Les Danois se résignent lentement à