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battre avec l’Allemagne, la France a renoncé à ses réclamations au sujet des provinces perdues.

J’avais cru, tout d’abord, à une de ces boutades pour lesquelles l’empereur Guillaume était célèbre ; quel ne fut pas mon étonnement de l’entendre revenir à plusieurs reprises, au cours de la conversation, sur l’étrange idée qu’à partir du moment où elle avait cédé à la menace allemande dans l’affaire marocaine, la France ne pouvait plus invoquer ses anciens griefs pour refuser de se rapprocher de l’Allemagne. Et comme je continuais, de mon côté, à exprimer des doutes sur un pareil changement dans la psychologie du peuple français, l’empereur Guillaume me surprit encore plus en déclarant que si, après tout, la France persistait dans son refus de se joindre à l’alliance projetée, il y avait des moyens pour l’y amener de force.

C’est cette partie de la conversation qui m’avait frappé le plus et qui avait surtout absorbé mon attention ; mais je ne suis pas moins sûr que les paroles qui me sont prêtées par Guillaume II sur la soi-disant tendance du Danemark à chercher dans une occupation russo-allemande une garantie contre une agression de la part de l’Angleterre, ont été, pour le moins, travesties. Je savais, comme tout le monde, que les Danois vivaient sous l’empire de la peur constante d’une invasion ; mais personne en Danemark ne pouvait s’attendre à ce qu’une pareille invasion vînt d’autre part que d’Allemagne. Le gouvernement danois se rendait parfaitement compte de la faiblesse militaire du Danemark et de l’impossibilité pour ce pays de résister longtemps seul à une pareille agression ; mais sa politique traditionnelle était précisément d’invoquer contre ce péril l’aide des Puissances dont la grande faute avait été, dans le passé, de permettre l’écrasement du Danemark par l’Allemagne. Il était, d’autre part, de notoriété publique qu’il existait en Danemark un parti, — celui des radicaux et des socialistes, — qui s’opposait à toute augmentation des dépenses militaires et prêchait la non-résistance à toute invasion, de quelque côté qu’elle vint. Il est possible qu’en réponse à une question de l’empereur Guillaume sur l’état des esprits en Danemark, j’aie pu mentionner ce fait ; mais il aurait été absurde de ma part d’attribuer de telles idées au ministre des Affaires étrangères danois, alors même que je savais le comte Raben plus enclin que ses prédécesseurs à entretenir