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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/701

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Enfin, lorsque le tigre est censé rugir à la. cantonade, un orchestre congrûment « fafnérien » imite les rugissements de « monstre. » Quant aux harmonies, il faut, disait un musicien d’esprit, leur savoir gré d’être écrites en chiffres connus. En somme, un vers, un seul, et d’opéra, pourrait servir d’épigraphe à l’opéra de M. Février : « Ce qui doit arriver arrive à l’heure dite. » En l’écoutant, et plus nous écoutions, nous songions : Il y a la mauvaise musique. Elle offense, elle irrite, littéralement elle fait du mal. Et puis il y a la musique inutile.

Celle-ci même peut trouver d’agréables interprètes. Mlle Fanny Heldy est du nombre. Beaucoup plus qu’agréable à voir, au premier acte surtout, coiffée d’un casque de velours bleu ciel à plumes blanches, elle semble une héroïne du Tasse. Et le ramage de la belle Clorinde se rapporte, ou peut s’en faut, à son plumage. Ce peu consiste en une certaine sécheresse, avec tendance à forcer et serrer les notes, surtout les notes hautes, au risque d’en altérer le timbre et la justesse. M. Fontaine, un « fort ténor, » possède la voix et l’encolure qui conviennent au robuste Almerio.


Le temps de l’exotisme va-t-il renaître et le goût des choses étrangères nous ressaisir ? Des chanteurs et des danseurs, Espagnols d’abord, Russes ensuite, sont venus, ou revenus, parmi nous. Les premiers n’ont pas contribué pour une petite part à la couleur fortement locale d’un drame transpyrénéen représenté naguère à l’Odéon et repris par M. Gémier : Aux jardins de Murcie. Au théâtre des Champs-Elysées, sous le nom, — qui fait pléonasme, — d’Isba russe, une compagnie d’élite, réunie et dirigée par un artiste de Moscou, M. Serge Borowski, nous a donné, pendant une quinzaine de jours, un spectacle délicieux et d’admirables concerts.

Concerts en costumes, avec décors ; tableaux vivants deux fois, par le chant et par la danse. Concerts de musique pure, où presque rien du théâtre, au sens vulgaire du mot, rien de ses artifices et de ses mensonges ne se mêle, où la représentation visible est peu de chose et se borne à créer l’apparence légère de la réalité. Pas un soupçon de drame ou seulement d’action dans ces trois tableaux : la place de l’église, l’intérieur de l’isba, un campement de nuit dans la steppe. Et pas plus qu’une pièce de théâtre, il n’y a là de gens de théâtre. Chanteurs, danseurs, les uns et les autres se tiennent, se meuvent, avec autant de naturel que d’aisance. Ils jouent moins qu’ils ne se jouent. Ils ont l’air, non pas de figurer ni de feindre, mais