Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
545
SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

si énergiquement qu’il n’était question que d’un renseignement et que je serais de retour dans vingt minutes, que je ne conservai aucun soupçon. Je l’accompagnai sans même changer de vêtements, pressé de me remettre à la besogne en rentrant chez moi. Il me parut bizarre cependant que mon guide me conduisit à notre but par des rues détournées et peu fréquentées. Comme elles abrégeaient le chemin, je n’y attachai pas grande importance.

Arrivé à la Kommandantur, encore déserte à cette heure matinale, je fus introduit, après quelques minutes d’attente, dans le bureau d’un major. Il me parut, — peut-être est-ce une illusion, — quelque peu embarrassé, pendant qu’il me saluait avec une politesse affectée. Puis, entrant aussitôt en matière : « Monsieur le Professeur, me dit-il, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer : vous allez partir pour l’Allemagne. — Pourquoi ? — Je l’ignore, c’est un ordre. Je ne puis que l’exécuter. — Fort bien, répliquai-je. Je vais rentrer chez moi préparer mon départ. — C’est impossible. Vous devez rester ici ; vous prenez le train dans une heure. — Vous voulez donc que je m’en aille sans avoir dit adieu à ma femme et à mon fils, qui est à l’école ! — Y pensez-vous ? Nous allons envoyer un automobile à Frau Professor. Quant à votre fils, l’école est trop éloignée, et il ne pourrait être ici en temps utile. » Je ne me donnai pas la peine de remarquer qu’on aurait pu le faire prendre aussi en automobile. Il était trop évident qu’on craignait d’avertir de mon arrestation les élèves de sa classe, qui n’auraient pas manqué d’en répandre le bruit par la ville. « Soit, me contentai-je de répondre. Permettez-moi du moins d’envoyer un mot à ma femme pour la préparer à une nouvelle qu’il est préférable qu’elle apprenne de moi-même. » La permission fut aussitôt accordée, à condition que mon policier put prendre connaissance de ce que j’écrirais. Je commençais à m’apercevoir que j’étais « très dangereux. »

Un quart d’heure plus tard, ma femme arrivait. Je pus causer quelques instants avec elle, à haute voix bien entendu, en présence du policier. Un message qu’elle envoya à la maison, afin d’en faire venir sur-le-champ quelques objets indispensables, dut être soumis à la censure du même personnage. Après une vingtaine de minutes, un officier entra et, me prenant à part, m’annonça que, l’heure du départ approchant, je ferais bien de