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style des appartements des anciens tsars du palais du Kremlin à Moscou, y reçut l’empereur Nicolas avec tous les rites observés à la cour moscovite du XVIIe siècle, faisant jouer à Nicolas II le rôle d’Alexis Michaïlowitch et apparaissant lui-même dans celui du boyard Morozoff, ministre tout-puissant de ce tsar.

Tandis que l’Empereur et son singulier ministre de l’Intérieur s’amusaient à ces innocentes mascarades, les véritables fonctions d’un Morozoff étaient remplies par M. Pobiédonostzeff ; l’influence de ce sinistre personnage se faisait puissamment sentir dans toutes les affaires de l’État, et son action aliénait de plus en plus au gouvernement et rejetait dans l’opposition, et même dans la révolution, la partie éclairée de la société russe.

La méthode constante de M. Sipiaguine et consorts consistait à flatter systématiquement le jeune souverain et à lui faire concevoir une idée exagérée de sa puissance et de ses talents de gouvernement. Nul ne surpassa dans cette voie le comte Mouravieff, ministre des Affaires étrangères depuis 1897 jusqu’à 1900, dont la plate courtisanerie n’avait d’égale que l’absolue ignorance des affaires. Son prédécesseur, le prince Lobanoff, avait été un véritable homme d’Etat ; par malheur, son ministère, brusquement interrompu par la mort, n’avait duré que quelques mois. Cet éminent diplomate, doublé d’un historien de premier ordre, s’était proposé de former aux affaires Nicolas II, dont il appréciait la vive intelligence et pour lequel il avait un attachement quasi-paternel ; il profitait de chacun de ses rapports verbaux pour lui faire une espèce de cours d’histoire et de science diplomatique. L’Empereur, habitué de la part de ses autres ministres à des procédés tout différents, subissait avec déférence, mais non sans un certain ennui, les leçons de cet ancien serviteur de son grand père. Aussi le comte Mouravieff, nommé ministre des Affaires étrangères après la mort du prince Lobanoff, ne manqua-t-il pas de prendre l’absolu contre-pied de l’altitude de son prédécesseur. Il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il n’était que l’obéissant exécuteur des ordres de son maitre et que l’Empereur, dont il vantait à toute occasion la profonde science diplomatique, décidait de toutes les affaires en pleine indépendance et dans les moindres détails. Je me rappelle qu’un des ambassadeurs étrangers accrédités à Saint-Pétersbourg me demandait un jour si ces déclarations, devaient être prises à la lettre, ou bien si le