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à des époques successives, et quelquefois avec une grande intensité, en Russie, et qui ont agi sur les âmes russes soit dans les milieux populaires, soit parmi les classes supérieures. Le trait commun qui caractérise tous ces courants est un sentiment de profonde pitié pour les défaillances du pécheur et du criminel, et la croyance à la régénération par la grâce divine. Cette « religion de la pitié, » qui se fait jour dans les écrits de Tolstoï et de Dostoïewsky, subit quelquefois des déformations étranges et aboutit à cette conclusion extrême que, pour obtenir le pardon, il faut commencer par pécher. De là les formes bizarres revêtues quelquefois par les sectes russes dont une des plus répandues en Russie était, et est encore, celle des « Khlystys. » Ces derniers, qui rappellent les « flagellants » et les « convulsionnaires. » ont de tout temps possédé une force de contagion toute particulière. Leurs exercices, où l’exaltation mystique confine de près à l’excitation érotique, ont eu des adeptes non seulement dans les masses inférieures de la société russe, mais dans les cercles les plus élevés. On sait qu’au commencement du XIXe siècle, la haute société de Saint-Pétersbourg subit une crise aiguë de mysticisme ; l’impulsion venait de haut, puisque ce fut l’empereur Alexandre Ier qui, à son retour de Paris en 1814 et sous l’influence de la baronne de Krüdener, donna l’exemple d’une exaltation religieuse intense. Si la célèbre inspiratrice de la Sainte-Alliance elle-même ne se livra jamais à des excès de piété morbide, quelques-uns de ses admirateurs et imitateurs semblent avoir franchi la limite qui sépare le mysticisme outré de certains états pathologiques. Il suffit de nommer Mme Tatarinoff, amie de la baronne de Krüdener et ouvertement protégée pendant quelque temps par l’empereur Alexandre Ier ; les réunions auxquelles l’appartement qu’elle occupait dans un des palais impériaux de Saint-Pétersbourg servit de cadre, paraissent avoir quelque peu ressemblé à celles des « Khlystys. »

Je me contente d’indiquer ici ces éléments du problème sans tenter de les analyser davantage, et, surtout, sans chercher à retenir l’attention de mes lecteurs, par des détails inédits et sensationnels sur un sujet auquel je ne puis toucher qu’avec un sentiment très douloureux.