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Douze ans plus tard, Nicolas II, guidé par le parti réactionnaire, périt pour avoir voulu combattre des forces qui ne pouvaient plus être maîtrisées. La vraie cause de la chute de la monarchie russe fut la folie que commit ce parti en essayant de faire revivre et de perpétuer, en plein XXe siècle, et au mépris des besoins d’un Etat moderne, l’anachronisme représenté par le pouvoir autocratique, — « le plus dangereux de tous les pouvoirs, écrivait prophétiquement mon aïeul à l’empereur Alexandre Ier, car il fait dépendre le sort de milliers d’hommes de la grandeur d’esprit et d’âme d’un seul. » — Malgré les qualités d’intelligence et de cœur dont il était incontestablement doué, Nicolas II n’eut pas la « grandeur d’esprit et d’âme » nécessaires pour se soustraire à l’influence de la réaction et il fut inconsciemment la cause de la catastrophe sans précédent qui s’était abattue sur ses millions de sujets.


LES DEUX IMPÉRATRICES

Si, malgré toutes mes hésitations je me suis quand même décidé à prendre part à la controverse ouverte autour de la tombe de l’empereur Nicolas, c’est qu’il m’a semblé que mon témoignage, fondé sur des observations directes et sur une connaissance intime de son caractère, pourrait à la fois servir la cause de la vérité et laver sa mémoire de certaines imputations injustes.

Il serait difficile d’invoquer les mêmes raisons pour parler plus longuement que je ne l’ai fait jusqu’ici de l’impératrice Alexandra : dans mes relations avec elle, je n’ai jamais franchi la barrière que l’étiquette des cours dresse entre un sujet, — fùt-il ministre et conseiller du souverain, — et la souveraine. Je n’ai jamais été admis dans le cercle étroit qui l’entourait et me suis toujours senti tenu par elle particulièrement à distance. La cause évidente de sa froideur à mon égard était ma tendance aux idées libérales et constitutionnelles. Je craindrais donc, en émettant sur elle un jugement quelconque, de tomber dans l’erreur et de répéter inconsciemment les assertions exagérées ou totalement fausses, dont tant d’écrivains se sont rendus coupables. L’impératrice Alexandra eut, à ce point de vue, exactement le même sort que l’infortunée Marie-Antoinette,