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chargée par la vindicte publique de toutes les fautes d’un régime devenu odieux à la nation. Pas plus que Marie-Antoinette n’avait mérité d’être appelée « l’Autrichienne, » l’impératrice Alexandra ne mérita d’être dénoncée à la haine populaire comme « l’Allemande. » Sur ce point précis, je ne crains pas d’être absolument affirmatif : jamais l’épouse de Nicolas II n’eut l’ombre de tendance à trahir les intérêts de la Russie. Etrangère à son pays d’adoption par la naissance et par l’éducation, confinée dans l’atmosphère artificielle de la cour et ne voyant les hommes et les choses, pour ainsi dire, qu’à travers un prisme déformant, elle a pu se méprendre sur les véritables aspirations du peuple russe ; mais c’est en toute sincérité et en se considérant comme la meilleure des Russes, qu’elle crut aux formules surannées des ultra-conservateurs et à l’attachement de la Russie pour les formes de l’autocratie. Jamais, à ma connaissance, elle ne chercha à détourner l’empereur Nicolas de sa fidélité à l’alliance française ; cette alliance, aux yeux des deux souverains, était placée en dehors de toute discussion. L’impératrice Alexandra fut, il est vrai, contraire au rapprochement avec l’Angleterre et ne se fit pas faute de m’exprimer nettement son sentiment à ce sujet, à l’occasion de mes négociations avec le Cabinet de Londres ; mais, à cette époque, elle ne jouait pas encore le rôle politique prépondérant qu’elle assuma par la suite et je n’ai jamais eu à me plaindre d’une ingérence de sa part dans ces négociations.

Voilà tout ce que je puis dire en pleine connaissance de cause sur le compte de l’impératrice Alexandra ; je ne toucherai ni à l’influence que son exaltation religieuse eut sur Nicolas II, ni surtout au sujet si délicat de la protection qu’elle accorda à Raspoutine : je n’ai sur ces deux points aucune lumière spéciale et mon témoignage ne pourrait, à cet égard, servir aucune fin utile. Mes lecteurs comprendront, d’autre part, les raisons qui me poussent à m’incliner en silence devant une infortune qui accabla non seulement la souveraine, mais la femme et la mère, et qui a peut-être dépassé en horreur tout ce qu’on a pu en apprendre jusqu’ici avec certitude.

Je me sens plus à l’aise pour apporter le tribut d’une admiration sans réserve à la mère de l’empereur Nicolas, l’impératrice douairière Marie-Feodorowna. Être de charme et de bonté, elle allégea par la douceur de son commerce et éclaira