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parlant sec ; mais, si l’on s’abstient de puiser aux bavardages qu’on lui a prêtés dans sa vieillesse, on reste, comme pour Gomin, dépourvu de renseignements sur ce personnage ; Madame Royale le qualifie de « bien bon homme, » et n’en dit pas davantage.

Peut-on puiser dans le journal de la Princesse quelque indication sur ce qu’était, à cette époque, la vie du petit prisonnier ? Non, car on la tenait complètement isolée de lui ; elle ne fut informée que beaucoup plus tard, lorsqu’une demi-liberté lui fut rendue : encore n’apprit-elle rien que par Lasne et par Gomin, et l’on continue à s’étonner que, durant ces mois d’avril et de mai, elle n’ait pas réclamé et obtenu de ses deux gardiens la faveur de voir « son frère. » Et qui donc imposait cette inflexible consigne ? Barras assure qu’il donna des ordres contraires ; Harmand de la Meuse réitéra ces instructions ; jamais on n’en tint compte ; durant plus d’un an, seuls dans la triste Tour, ces deux enfants vécurent à quelques pas l’un de l’autre sans que l’ingéniosité charitable des geôliers suscitât au moins l’occasion d’une rencontre fortuite sur l’escalier ! La gérance commune de Lasne et de Gomin auprès de Marie-Thérèse et de celui qu’on appelle Monsieur Charles a laissé, dans les dossiers d’archives, moins de traces encore que celle de Laurent. Le mutisme des documents est absolu. Cet enfant dont s’occupent et s’inquiètent tous les cabinets étrangers est déjà retranché du monde, sans qu’on sache quelle autorité assume la responsabilité d’une si atroce et inexplicable soustraction. Certains journaux annoncent qu’un royaume est constitué pour lui au centre de l’Europe et qu’il va être élu souverain de la Pologne ; son long martyre attendrit tous les cœurs ; Paris pense à lui, Paris, joyeux et vibrant, ensoleillé et fleuri à l’éveil de l’été ; rien de toute cette gaité de la vie, de tous ces rayons, ne perce les murs derrière lesquels on tient encagé, comme une bête méchante, cet abandonné de dix ans ; dans la grande ville, depuis des siècles jour et nuit frémissante, le lieu où il est forme un îlot de mort, tant le silence qui l’enveloppe est profond, tant il y a de barrières, de murs, de grilles, de sentinelles et de geôliers pour empêcher que pénètrent jusqu’à lui les regards des vivants.

Pourtant, comme un mécanisme remonté à heure fixe, le service du Temple fonctionne méthodiquement : le