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manifeste toute la littérature religieuse du Moyen Age. Et Dante se rendait si bien compte de cette nouveauté qu’il l’annonçait à la fin de sa Vie nouvelle : « J’espère dire de ma Dame ce qui n’a encore été dit d’aucune autre. » Assurément la glorification de Béatrice se ressent des belles théories de la poésie amoureuse et chevaleresque (et peut-être aussi du romantisme musulman dont l’influence sur le dolce stil nuevo n’a pas encore été étudiée). Assurément nos trouvères de Provence ont allumé quelques-uns des flambeaux et ont tressé quelques-unes des couronnes qui mènent sa pompe nuptiale ; et, comme le fait justement observer. M. Asin, il y a là un mélange de mysticisme et de sensualité qui répond à ce que nous savons du caractère de Dante. Mais ce qu’il faut dire, c’est que les traditions islamiques et mystiques nous parlent constamment d’une fiancée qui attend au ciel son amant, qui des hauteurs célestes suit avec anxiété les péripéties de sa vie morale, qui inspire ses songes, qui l’aide à surmonter les tentations, qui lui reproche ses fautes et de l’avoir quelquefois oubliée dans d’autres amours terrestres, et qui, enfin, vient à sa rencontre comme une amie fidèle de son âme, comme une rédemptrice.

Parmi ces légendes, la plus intéressante que nous cite M. Asin, date du Xe siècle. « L’ange Riduan, le conducteur des âmes, mène le bienheureux vers le sanctuaire où sa fiancée l’attend. Elle l’accueille avec ces paroles : « O ami de Dieu, comme il y a longtemps que je soupirais après toi ! Loué soit le Seigneur qui nous a réunis ! Dieu m’a créée pour toi et a gravé ton nom dans mon cœur. Lorsque dans le monde tu servais Dieu et que tu priais et jeûnais jour et nuit, Dieu ordonnait à ton ange Riduan de m’emporter sur ses ailes, afin que, des hauteurs célestes, je pusse contempler tes bonnes actions. L’amour que j’avais pour toi me faisait me pencher du haut du ciel et, à ton insu, contempler tes œuvres. Quand tu faisais oraison dans l’ombre de la nuit, je me réjouissais et je te disais : « Sers et tu seras servi. Sème et tu récolteras. Celui qui s’efforce finit par trouver. Celui qui perd son temps se repent ensuite. Dieu a déjà élevé ton degré de gloire parce que les vertus sont agréables à ses yeux ; il nous unira au ciel lorsque tu auras vécu sur la terre une longue vie consacrée au service divin. Mais si tu tombais dans la négligence ou la tiédeur, je m’attristais. » Songez à Béatrice qui souffre de voir Dante en péril et