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doit à Averroès. Et cette sympathie nous explique un passage du Paradis qui semblait jusqu’ici très énigmatique et que M. Bruno Nardi, cité par M. Asin, vient d’éclaircir. Dante a mis dans la sphère du Soleil, près de saint Thomas et de Denis l’Aréopagite, Siger de Brabant, condamné comme hérétique averroïste en 1277, et mort en Italie sept ans plus tard. ; Il l’exalte au rang des docteurs de l’orthodoxie. Et saint Thomas le présente ainsi : « cette âme est la lumière d’un esprit à qui, dans ses grandes pensées, la mort paraissait trop lente. Elle est l’éternelle clarté de Siger qui, en professant dans la rue du Fouarre, excita l’envie par des syllogismes remplis de vérités. » Voilà la mémoire de Siger bien réhabilitée. Or, M. Nardi, qui a étudié la philosophie dantesque, arrive à cette conclusion que Dante n’a pas été, comme on l’a cru, exclusivement thomiste ; que dans le conflit entre le néoplatonisme arabe et la théologie chrétienne, il a adopté une attitude mystique ; qu’il ne reconnaît aucun maître ; qu’il accepte tous les penseurs antiques et médiévaux, chrétiens et musulmans, et qu’il les fond dans un système personnel où il est souvent plus près d’Averroès que de saint Thomas. Par ses symboles, ses subtilités, ses extases, sa conception de l’amour et de la femme, M. Asin le croit encore plus près de son cher Abenarabi qu’il regrette, je le crois, de ne pas voir au Paradis, dans la sphère du Soleil. Ce que Dante aurait fait philosophiquement, selon M. Nardi, il l’aurait fait aussi poétiquement. Sa Divine Comédie serait comme une éclatante fusion de la poésie antique, de la poésie chrétienne et de la poésie musulmane.


Je n’ai fait que résumer M. Asin Palacios en le traduisant le plus que j’ai pu ; mais je crains de n’avoir donné qu’une idée incomplète et affaiblie de la somme d’érudition et de la maîtrise que représente son œuvre si bien ordonnée, limpide, précise et pressante. J’avoue qu’il m’a paru quelquefois forcer un peu, sinon les textes musulmans qui m’échappent, du moins le texte de Dante. Un certain nombre des rapprochements qu’il accumule me semblent extérieurs, et il explique par l’Islam des passages que j’expliquerais aussi volontiers par le souvenir des auteurs latins, en admettant qu’on ait besoin de trouver une origine étrangère à toutes les inspirations d’un poète génial.