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LA LANGUE FRANÇAISE
ET LA GUERRE

I
LA FIGURE DES MOTS

En revenant à la vie normale, après l’effort presque surhumain qu’elle a prolongé pendant plus de quatre années, la France s’examine elle-même. Elle veut se rendre un compte exact de sa situation présente. Son état politique, économique, social, ses devoirs envers ses alliés, ses droits, ce qu’elle peut attendre et ce qu’elle doit craindre encore de l’ennemi vaincu, avec ce souci de clarté qui est un des traits de sa conscience morale, elle étudie, elle critique tout. Dans cet inventaire émouvant, où les morts tiennent tant de place, et où entrent aussi une volonté si décidée de vivre et de si glorieuses raisons d’espérer, n’oublions pas un de nos biens les plus précieux : la langue française.

Quels ont été sur elle les effets de la guerre ? En premier lieu : a-t-elle subi, comme on pourrait le croire après un tel bouleversement, des modifications profondes dans sa forme ? qu’est devenu le français de France[1] ? — En deuxième lieu : elle avait, hors de France, un rôle privilégié ; elle était la

  1. Parmi les récentes publications sur ce sujet, nous utilisons : Sainéan, L’argot des tranchées, 1915 ; Danzat, L’argot de la guerre, 1918 ; Esnault, Le poilu tel qu’il se parle, 1919. Articles et brochures : G. Prévost, Esquisse d’une étude sur l’emploi figuré des termes de guerre dans le langage contemporain, Revue universitaire, mai 1918, et Mercure de France, 116 janvier 1919 ; Nyrop, Études de grammaire française, Copenhague, 1919 ; Al. François, La langue française et la guerre, Genève, 1919 ; et aussi : Nos enfants et la guerre, enquête de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, Paris, 1917.