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De Lyon, une voix faisait écho, qui trente années durant avait enfiévré la chrétienté : c’était la voix de Gerson. Il mettait alors un intervalle entre ses joutes conciliaires et la mort, en étudiant le Cantique des Cantiques : dans ces versets d’amour, il aimait à aimer Dieu, et rêvait d’être un jour interrompu, dans sa lecture, par une convocation du Maître, qui l’appellerait à venir achever là-haut la phrase ici-bas ébauchée. Mais lorsqu’il apprit à Lyon, six jours après l’événement, la prise d’Orléans, ce mystique qui déjà vivait entre ciel et terre redescendit sur terre ; et n’ayant plus que deux mois à vivre, il prit congé du Cantique qui parlait d’éternité, pour écrire sur la personnalité du jour, sur la Pucelle. Des sphères célestes où déjà planait sa pensée, ce vieillard, tout d’un coup, retombait dans l’actualité. Mais c’était pour conclure : « Cela a été fait par le Seigneur ; il est pieux, salutaire, dans l’ordre de la foi et de la bonne dévotion, de se déclarer pour cette Pucelle. » Il l’a justifiait contre ceux que ses vêtements d’homme faisaient grimacer, et il redisait : « Voilà l’éclatante, la prodigieuse inauguration d’une aide divine. » Jusqu’où irait Cette aide ? Gerson détaillait les avertissements d’ordre religieux et politique apportés à la France par la Pucelle : il fallait que la France les suivît, de peur que « l’ingratitude, les blasphèmes ou quelque autre cause n’arrêtassent le cours des bienfaits divins. » L’approbation théologique dont Gerson sanctionnait la mission de Jeanne se complétait ainsi par une sorte de leçon morale adressée au Roi et à son peuple : il les engageait l’un et l’autre à écouter cette messagère de Dieu[1].

Hors de France, aussi, les hauts faits de Jeanne occupèrent tout de suite la science d’Eglise. Etait-ce une envoyée divine ? ou bien une fausse prophétesse ? Un jeune universitaire de Cologne, qui devait plus tard se faire un nom, Henri de Gorkum, entendait soutenir les deux thèses : il alignait, de part et d’autre, les arguments qu’elles alléguaient. Modeste encore, il prétendait ne rien décider, et voulait uniquement « provoquer de plus doctes à une intelligence plus approfondie de la matière. » On sentait, cependant, qu’il inclinait à penser que Dieu était là[2].

  1. Dom J. B. Monnoyeur, Traité de Jean Gerson sur la Pucelle. Paris, 1910.
  2. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, I, p. 60-68.