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souffert si la France n’avait pas été entraînée dans un tourbillon de guerres désastreuses. »

Cette âme de prêtre émigré, qui sur les bords du Tibre avait tremblé pour la France, se blottissait dans une double certitude : il savait que Dieu, pour régner dans le monde, avait besoin de la France, et que la France, pour cesser d’être esclave, avait besoin de Dieu : Jeanne lui apparaissait, au loin, comme la servante providentielle de ces deux nécessités. Il s’engageait dans un curieux récit, où l’on voyait Jeanne demander à Charles VII son royaume, se le faire attribuer, solennellement, devant quatre notaires, et puis, ces mêmes notaires étant présents, donner le royaume à Dieu, et finalement, agissant au nom de Dieu, en réinvestir Charles VII. Ce clerc écrivait, semble-t-il, avant le sacre de Reims ; mais il savait, évidemment, les propos qu’à Chinon la Pucelle avait tenus au Roi. Il semblait qu’à la faveur de cet apologue il mit en relief, sous une forme dramatique, la portée que Jeanne attachait au sacre et la réinvestiture que Dieu lui-même, en conclusion des victoires de Jeanne, allait consentir à la dynastie capétienne[1]. A l’arrière des notaires qui tour à tour enregistraient ces étranges translations de propriété du royaume de France, son imagination, soyons-en sûrs, entrevoyait d’autres témoins, un Hincmar, un saint Rémi, artisans de la gloire de Reims, — gloire unique, où s’étaient peu à peu mêlés, comme au principe la conséquence se mêle, le souvenir du baptême de la France et le souvenir des sacres royaux, renouveau périodique du vœu baptismal.


IV. — LA PIÉTÉ POPULAIRE DEVANT LA LIBÉRATRICE D’ORLÉANS

Le 5 mai 1430, le chanoine angevin Jean Boucher, guéri par sainte Catherine d’une maladie importune, s’en allait la remercier en son église de Fierbois, où Jeanne naguère avait envoyé chercher une- épée ; et Jean Boucher notait, dans les archives mêmes du sanctuaire : « Dans la présente chapelle, j’ai célébré la messe à haute voix, priant pour le roi, pour la Pucelle digne de Dieu (Puella Deo digna)[2]. » Les foules

  1. Voir Marius Sepet, Jeanne d’Arc, p. 292-293 (Tours, 1896).
  2. Abbé Fourault, Sainte Catherine de Fierbois (Tours, 1887).