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que les prétentions allemandes atteignent leur apogée. Tout d’abord, n’allons pas offrir aux fournisseurs de les payer en marks ; ils prendraient cette proposition pour une injure. Ceux-ci veulent recevoir des francs suisses, ceux-là des francs français. Krupp va plus loin : il exige le paiement en francs or. Ce n’est pas tout. Les versements doivent être effectués comptant, et le plus souvent d’avance, contre simple remise des documents d’expédition. Par ce détour, les marchandises vendues voyagent aux risques des acheteurs ; aucune réclamation n’est plus possible à partir de l’expédition ; et les sinistrés qui attendent la livraison, n’ont aucune garantie ni pour la date, ni pour les prix, ni pour les qualités. Ils espéraient que, la paix signée, l’Allemagne les aiderait à réparer les dommages que, pendant la guerre, elle leur avait causés. Mais l’Allemagne n’a pas oublié les savants ouvrages qu’elle a fait secrètement éditer de 1914 à 1918 et qui exposent, avec un cynisme étonnant, la dévastation systématique de nos régions industrielles du Nord. Elle entend bien ne pas perdre entièrement le fruit de sa barbarie. A nous et à nos amis, de ne pas la laisser remporter insensiblement, dans la paix, la victoire qui lui a échappé sur les champs de bataille.

Il est vrai qu’ici encore, c’est la France qui, de toutes les nations alliées, est la plus intéressée à empêcher ces actes de déloyauté. Mais le traité a voulu que, pour tout ce qui touche aux réparations, la France ne demeurât point isolée. Ce n’est pas, j’imagine, pour la mettre en tutelle qu’à chaque page de ce traité on l’a tenue étroitement rapprochée, dans une multitude de commissions, des Puissances qui étaient venues combattre à ses côtés. Parcourez les 440 articles du document principal et les annexes et le protocole. Il n’est pas une ligne où n’apparaisse le commun désir de maintenir, entre les nations alliées et associées, une solidarité durable. Vœu platonique peut-être, comme un trop grand nombre de dispositions du traité. Mais, du moins, le sentiment qui a inspiré les rédacteurs n’est pas douteux. Les États-Unis d’Amérique, l’Empire britannique, la France, l’Italie, le Japon, et, à leurs côtés, quoique injustement laissée dans la pénombre, toute la phalange des peuples qui ont lutté ensemble pour la liberté, resteront constamment associés dans une œuvre collective. C’est parmi eux que se recrutera, pour la plus grande part, le conseil de la Société des Nations ; ce sont eux qui nommeront cinq des sept membres des commissions qui auront à tracer les nouvelles frontières entre la Belgique et l’Allemagne, ou entre la Pologne et l’État tchéco-slovaque ; ce