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sonniers, exaltés par notre victoire, se soumettaient difficilement à la discipline. Des révoltes, pouvant avoir des conséquences graves, étaient à craindre. Il y en avait eu déjà des exemples à Mannheim et à Langensalza, où la répression avait amené mort d’hommes.

Les camps, répartis sur tout le territoire de l’Empire, contenaient environ le quart de l’effectif total des prisonniers. Le reste était dispersé en détachements de travailleurs agricoles ou industriels, situés quelquefois à plusieurs centaines de kilomètres du camp dont ils dépendaient, et leur nomenclature n’existait nulle part. Un jour j’apprenais, par hasard, qu’un camp avait été évacué sur l’ordre d’un soldatenrath (conseil de soldats), sans que l’autorité centrale en eût été avisée. En certains points, ces conseils expulsaient les détachements de travailleurs (Kommandos) pour faire place aux ouvriers allemands. Dans d’autres, ils les obligeaient à rester sur place, les forçant ou non au travail. Tantôt ils interdisaient aux employeurs de continuer à les nourrir, tantôt ils le leur prescrivaient, même en cas de refus de travail. Inutile d’ajouter que, dans ce dernier cas, la prescription demeurait lettre morte et que personne ne se préoccupait d’assurer son exécution.

Alors que la plupart des camps continuaient à être gardés, certains ne l’étaient plus, ou à peine. Les prisonniers pouvaient sortir, se répandre dans les localités voisines, chercher même à rejoindre la France par leurs propres moyens, ce qui n’était pas sans danger pour eux, devant le désordre général, et la crainte qu’avaient les habitants des excès de bandes indisciplinées.

Dans l’ignorance de ce qui se préparait, beaucoup d’hommes s’évadaient isolément, errant à travers l’Allemagne, se heurtant aux frontières neutres barrées ou arrivant sur le Rhin, épuisés de faim, de fatigue et de froid. Souvent, croyant être arrivés au port, ils trouvaient une barrière infranchissable. J’ai vu des soldats qui, partis de la Prusse orientale, étaient parvenus aux frontières de Suisse, et, refoulés, avaient fini par venir échouer à Berlin me demander protection, et secours. Un autre jour, le ministre me disait que 350 officiers s’étaient révoltés, avaient menacé de tout brûler dans la ville voisine de leur camp, avaient exigé un train et s’étaient fait diriger vers un port de mer. Le rapport était exagéré, mais le Ministère affolé ne savait plus que faire de ce train en détresse dans une