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gare de campagne, chargé d’officiers sans couvertures, sans vivres et sans argent. La situation alimentaire était lamentable. Les prisonniers n’avaient guère vécu jusqu’ici que des vivres qui leur étaient envoyés de France. Or les trains de vivres n’arrivaient plus, ou arrivaient pillés aux trois quarts.

Les prisonniers ne voulaient plus travailler, et les Kommandos refluaient sur les camps, pour ne pas être oubliés. Des installations organisées pour 4 000 hommes en voyaient arriver 15 000. On juge des conditions hygiéniques qui en résultaient. D’autant que ces camps étaient communs aux prisonniers des diverses nationalités et que les Russes les encombraient. Ces malheureux, presque sans nourriture depuis des mois, sinon des années, avaient perdu toute notion d’humanité.

Jamais je n’ai pu obtenir leur séparation, je ne dirai même pas dans des camps différents, il était trop tard pour l’essayer, mais dans chaque camp, dans une enceinte à part. Le Ministère de la Guerre en avait donné l’ordre, mais je crois qu’il n’a été exécuté nulle part. Mes officiers m’ont dit qu’il était inexécutable, les Russes n’obéissant pas et les Allemands en ayant peur. À cause de cette peur, les sentinelles avaient leur fusil chargé en permanence. Dès qu’elles entendaient du bruit, voyaient des rôdeurs, presque toujours de ces Russes en quête de pitance, elles tiraient au jugé et atteignaient souvent des nôtres. La presque totalité des meurtres vient de là. J’obtins enfin le déchargement des fusils des sentinelles.

Une grande cause de dépression était la cessation de toute correspondance. Les familles n’écrivaient plus depuis l’armistice. Les hommes étaient convaincus que les lettres qu’ils écrivaient n’arrivaient plus, et il est certain que, dans le désordre régnant, beaucoup ont été égarées ou retardées. Mais, surtout, l’absence de toute indication relative au rapatriement surexcitait les âmes, et le gouvernement allemand craignait une révolte en masse.


LES PREMIÈRES MESURES


Dès mon arrivée, avis fut donné à tous les camps de ma présence à Berlin et je prescrivis à tous de m’envoyer une députation. Tous les jours, il arrivait des bandes de ces délégués. Berlin était plein d’officiers et de soldats prisonniers qui se promenaient librement, venus de tous les points de l’Alle-