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Mais le résultat de cette ignorance était grave. Les camps menaçaient de se vider. À la faveur du désordre régnant en Allemagne, des agences s’étaient constituées pour organiser le départ des prisonniers. Des groupes de soldats, achetant la complaisance des conducteurs de trains, faisaient ajouter, au départ de Berlin des trains vers l’Ouest, un ou deux wagons qu’ils remplissaient de prisonniers, souvent sans même leur demander une rétribution représentant le prix du voyage. C’est dans les trains pour Cologne que se passait surtout ce trafic. Tant que nous ne fûmes pas sur le Rhin, les trains arrivaient à Cologne et y débarquaient leurs prisonniers qui y attendaient tranquillement l’arrivée des alliés. Mais le plus grave, c’est qu’ils écrivaient de là, et que leurs lettres excitaient leurs camarades demeurés au camp à suivre leur exemple.

Je dus interdire le 19 décembre ces départs d’isolés, très dangereux pour eux. Vers la même époque, le Gouvernement allemand se décidait à fermer manu militari, par un véritable coup de force, l’agence la plus florissante. Les officiers continuèrent peut-être plus longtemps à partir isolément. Avec la liberté absolue dont disposaient tous les prisonniers, de se promener en Allemagne, l’évasion isolée était relativement facile. Plusieurs même, je crois, la considéraient comme un acte louable. Mes exhortations répétées à tous les délégués des camps, la fermeture de l’agence principale, l’insuccès de quelques tentatives, que je fis répandre partout, mais surtout le retour à la discipline, résultant de l’arrivée des officiers dans les camps, limitèrent considérablement les évasions là où elles ne furent pas tout à fait arrêtées.

Tous ceux de ces isolés qui parvinrent en France, étant partis au moment où la pénurie de vivres et l’absence de nouvelles sévissaient au maximum, firent une peinture de la situation d’autant plus terrifiante qu’ils devaient excuser leur désobéissance, au moins pour ceux qui étaient partis après ma défense. Des centaines de lettres que je reçus de familles affolées (me reprochant parfois de ne rien y faire) m’ont apporté le témoignage de ces peintures exagérées. Inutile d’ajouter que je comprends trop ces pauvres parents.

Cependant, désespérant de voir arriver les bateaux, je me retournais vers les chemins de fer. Malgré la résistance opiniâtre du Ministère, qui arguait sans se lasser de la pénurie de