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indiquée, qui reconnut aussitôt Mathurin et l’embrassa de bon cœur : comme elle n’était pas riche, et ne pouvait se charger de lui, elle supplia Simon de le remmener au château d’Angrie : le domestique de la vicomtesse s’y décida aussitôt et revint avec l’enfant chez Mme de Turpin ; celle-ci consentit, par charité, à reprendre l’imposteur qui, de cette aventure, rapportait un nom : il était maintenant Mathurin Bruneau, fils orphelin d’un sabotier de Vesins. Et il demeura au château, non plus parmi les maîtres, mais vivant avec « les gens, » jusqu’au jour où Mme de Turpin, obligée de fuir pour échapper à l’invasion des Bleus et de se réfugier avec sa famille dans les bois, confia Mathurin à l’un de ses gardes, chez qui, « mêlé aux enfants du village, » il lui paraissait en sûreté.

Le séjour du pseudo-fils du baron de Vesins au château d’Angrie avait duré environ un an.


Dans les premières décades de l’an V, qui correspondent au début d’octobre 1796, un jeune garçon parcourait à pied, sans compagnon, le département de la Manche : il s’arrêtait dans les villages, implorait gentiment l’hospitalité qu’on ne lui refusait jamais, et se dirigeait, d’étapes en étapes, vers Cherbourg où l’on croit qu’il voulait s’embarquer. Afin d’apitoyer les paysans, « il se donnait pour le descendant d’une famille très distinguée, devenue malheureuse par suite des événements de la Révolution. » « Les traits de son visage étaient agréables : il avait de longs cheveux, naturellement bouclés, le sourire ingénu, un ton de voix persuasif et, par surcroit, un grand air de dignité et de candeur. » Il s’exprimait, d’ailleurs, avec facilité et paraissait avoir reçu quelque instruction. Mais soit qu’il ne fût pas doué de l’adresse et de la prudence indispensables à tout imposteur, soit qu’il ne sût pas encore jouer son rôle, ses allures intriguèrent ; il fut signalé à la police et arrêté lors de son arrivée à Cherbourg : on trouva sur lui « une quantité de riches, bijoux. » Le signalement du petit vagabond fut communiqué à tous les districts du département, et l’on apprit ainsi que cet enfant était le fils d’un tailleur de Saint-Lô nommé René Hervagault, auquel la justice le rendit sans autre sanction qu’une sévère réprimande.

René Hervagault avait, à cette époque, quarante ans ; né à