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éternelle où le Saint Père Pie VI, afin de pouvoir le retrouver en cas de nouvelles aventures, « lui apposa sur la jambe, en présence de vingt cardinaux, un stigmate au moyen duquel le fils de France pourrait à l’avenir se distinguer des imposteurs éventuels ; » étrange procédé de reconnaissance, épisode bien peu vraisemblable, qui se retrouve sans qu’on puisse en discerner la raison, dans les récits de la plupart des faux Louis XVII. — Hervagault écouta l’anecdote en souriant, et comme on le suppliait de mettre fin à l’angoisse unanime, il voulut bien desserrer la boucle de sa jarretière droite, abaisser son bas de soie, et montrer l’empreinte de l’écusson de France qu’il portait « au-dessous de l’articulation du genou droit. » Quoique ce ne fût point là « une preuve, » car, s’il était un trompeur avisé, Hervagault avait eu tout le temps de se tatouer durant sa détention à Vire, les initiés de Vitry crièrent au miracle et contemplèrent avec ivresse « cette sainte marque apposée par la main infaillible du vicaire de Dieu ! » Et c’est merveille de considérer combien sont aveugles et hostiles à toute critique les convictions fondées sur les sentiments ; on le vit bien le jour où le Dauphin de Vitry-sur-Marne consentit a narrer son odyssée depuis son incarcération au Temple jusqu’à son arrivée aux rives de la Marne.

C’était à une soirée chez le notaire Adnet, ami de M. Claude Jacquier dont Hervagault, après son retour de Pringy, occupait en ville la maison, « l’une des plus somptueuses demeures de la rue Pavée. » Il y retrouvait l’étiquette de Versailles, des personnalités considérables de la ville s’estimaient heureuses de remplir auprès de lui « les plus vils emplois. » II acceptait leurs services sans hauteur ni dédain, mais avec une dignité complaisante. Or comme, à la prière de ses nombreux invités, le notaire s’était permis de supplier Monseigneur de raconter sa sortie du Temple et ce qui lui était advenu par la suite, le prétendu Dauphin se lança dans un récit, « tissu avec art » qui, il faut l’espérer, ne nous a pas été rapporté textuellement ; sinon on serait en droit de juger aussi sévèrement l’audacieuse hâblerie du narrateur que l’ignare patience de son auditoire. Il y est question de Simon et de sa femme, « altérés de sang et de vin, dont la bouche dégoûtante ne proférait que des propos obscènes ; » d’une garde-malade dévouée dont le jeune prince reçut les soins au Temple même ; d’entrevues quotidiennes avec